Extraits du mémoire d’un avocat anglais sur la situation en Turquie et notamment sur l’alliance entre les Turcs et les Allemands, remis le 2 octobre 1918 à M. HYMANS par FERNAND PELTZER.
1918. La Grande Guerre est sur le point de se terminer. Les belligérants sont à bout de souffle. L’effort de guerre a été des plus éprouvants et personne ne s’attendait à une telle longueur ni même à une telle intensité des combats.
Ce conflit va donner naissance, dans la douleur, à un monde nouveau, construit notamment sur les décombres des Empires emportés par la guerre.
Ce monde en totale reconfiguration, les Ambassadeurs belges alors en poste aux quatre coins du monde, ont cherché à le documenter en ne cessant d’envoyer des télégrammes à leur ministre de tutelle à Bruxelles, Paul Hymans. Ces télégrammes sont un outil formidable pour évoquer cette période.
L’équipe de Géopolis est allée chercher dans les fonds du SPF Affaires étrangères des télégrammes marquants de la période permettant de brosser, à travers ces sources inédites, un tableau du monde au sortir de la guerre. À travers les yeux des ambassadeurs belges cette exposition propose de revenir sur la manière dont la Belgique perçoit le monde au moment de la sortie de guerre des belligérants.
Remerciements au Ministre des Affaires étrangères et à la chancellerie du Premier Ministre ainsi qu’aux équipes du service des archives du SPF Affaires étrangères.
Avec le soutien de visit.brussels et de la Région Bruxelles-Capitale.
empire Ottoman
Le géant malade de l’Europe
En déclin depuis le XVIIIème siècle, l’Empire ottoman n’est plus qu’un timide reflet de la puissante “Sublime Porte” des siècles précédents. L’Empire ne cesse de voir ses frontières se contracter en raison d’une série de défaites successives. Il abandonne ses possessions africaines après l’invasion par l’Italie de celles-ci en 1911-1912 et ses provinces européennes après la première guerre balkanique (1912-1913).
L’Empire ottoman accuse également un très lourd retard économique par rapport aux autres nations d’Europe alors en plein essor industriel.
De l’anti-guerre au va-t-en-guerre
En 1908, le pays connaît un soulèvement organisé par le parti politique des “Jeunes-Turcs” qui vise à réinstaurer la Constitution de l’Empire de 1876 mise en parenthèses à peine deux ans plus tard. Le sultan Abdüllhamid II est déposé en 1909 et remplacé par son frère Mehmed V, qui ne dispose plus cependant que d’un pouvoir très limité. Rapidement, de modernisateurs et tournés vers l’Occident, les Jeunes-Turcs deviennent autoritaires et farouchement nationalistes.
En 1913, les Jeunes-Turcs installent trois figures à la tête du pays, une période connue comme le triumvirat des “Trois pachas”. Il est composé de Talaat Pacha en sa qualité de ministre de l’intérieur, Enver Pacha ministre de la guerre et Djemal Pacha ministre de la marine. Enver Pacha, prévoyant l’éclatement d’une guerre, accélère l’achat et l’acquisition d’armements et de navires de guerre. L’Allemagne, alors chargée de la réorganisation de l’armée ottomane, devient progressivement l’unique et principale interlocutrice du pays. Dans la foulée, une alliance secrète est signée le 2 août 1914, engageant les deux pays à mener la guerre côte à côte si elle venait à éclater. À partir du mois d’août 1914, alors que l’Europe s’embrase, c’est la mobilisation de toutes les provinces ottomanes.
Une descente aux enfers de l’intérieur
Face à de multiples fronts, l’Empire doit augmenter ses forces sur des terrains d’opérations variés et parfois très éloignés les uns des autres. Il fait face à de lourdes défaites, notamment contre la Russie. En mai 1915, une offensive russe fait tomber la ville d’Erzurum. L’engagement d’Arméniens au sein de l’armée russe entraîne un mouvement de méfiance envers cette importante minorité de l’Empire qui bientôt sert de prétexte au déchaînement de violence qui va s’abattre sur cette communauté – le génocide arménien et la mort d’environ 1,5 millions de victimes.
Les tensions internes à l’Empire sont utilisées par les belligérants : la Russie mène des opérations grâce à l’aide de volontaires et insurgés arméniens, la France et le Royaume-Uni agitent les nationalismes du futur Moyen-Orient pour soulever les Arabes contre le régime turc et provoquer un délitement de l’Empire.
Alors que la guerre est encore loin d’être terminée, France et Angleterre se promettent déjà de se partager la région en signant secrètement les accords Sykes-Picot en 1916. Ces accords prévoient la répartition des zones d’influence entre Français et Britanniques : la Grande Syrie – comprenant le Liban – pour l’un, la Mésopotamie et la Palestine pour l’autre.
De la défaite ottomane à la victoire turque
Le 30 octobre 1918, l’armistice de Moudros signe officiellement la fin de la guerre pour l’Empire ottoman. La fin du conflit a un coût très élevé. Le pays est occupé militairement par les forces de l’Entente et Constantinople (l’ancien nom d’Istanbul) est occupée par les alliés de 1918 à 1923. Bientôt, le traité de Sèvre réduit l’Empire à sa seule péninsule anatolienne et toutes ses anciennes possessions lui échappent, alors qu’un climat de guerre civile se développe. L’Empire, vieux de près de 600 ans, n’est plus.
Le pays risque un total éclatement lorsqu’un groupe commence à s’organiser sous l’égide d’un général, Mustafa Kemal, qui organise la résistance et se fait élire à la tête d’une assemblée nationale réunie à Ankara en 1920.
Il abolira bientôt le sultanat, fera reconnaître les frontières actuelles de la Turquie et lancera la Turquie dans un gigantesque projet de modernisation.
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Faux, c’est l’Allemagne.
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Bonne réponse !
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Faux, c’est l’Allemagne.
La fin du conflit, quelle qu’en soit l’issue
Relativement aux massacres des Arméniens, les Allemands avaient eu connaissance du projet d’exterminer cette race, mais ils ne se préoccupèrent pas d’éviter cette catastrophe. (…)
L’harmonie qui existait au commencement entre les Allemands et les Turcs n’est plus qu’un souvenir et même dans la capitale les officiers allemands maltraitent les soldats et civils. Bien que le Ministère turc de la guerre continue à être entièrement entre les mains des Allemands, on trouve souvent dans la presse des articles plutôt hostiles à l’Allemagne.
La masse du peuple ne manifeste plus aucun sentiment défavorable à l’égard des Alliés. La seule aspiration actuelle tend vers la fin de la guerre quelqu’en soit l’issue.
Démoralisation générale
Les Jeunes Turcs, prévoyant la débâcle prochaine, envisagent les événements avec le même esprit de fatalité, de résignation qui caractérise leurs coreligionnaires.
Un signe évident de la démoralisation se manifeste dans la débauche, la concussion et la corruption des mœurs qui battent leur plein dans les milieux officiels de la Capitale, où l’on s’amuse sans aucun souci des misères, de la maladie et de la faim qui ravagent les grandes masses de la population.
On accueille toutes les mauvaises nouvelles avec un flegme et une indifférence qui dénote la mentalité actuelle des Jeunes Turcs.
Certains d’entre eux envisagent même une défaite complète comme le salut de la Turquie ! Ils reconnaissent que celle-ci ne pourra plus à l’avenir jouer le rôle d’une grande puissance indépendante.
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Non, c’est le traité Sykes-Picot
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Non, c’est le traité Sykes-Picot
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Bonne réponse !
Sur la dissolution du parti Union et Progrès, la fin du régime des « Jeunes Turcs »
Constantinople, le 3 février 1919
Le comité « Union et Progrès », auteur de la révolution de 1908 et de toutes les horreurs dont la Turquie a été depuis lors l’écœurant et sanglant théâtre, a été dissout dans la nuit du 29 au 30 Janvier.
Sur l’ordre du Grand Vizir, la Police a arrêté une quarantaine de principaux membres du comité (…).
Une Commission spéciale a été chargée de procéder à l’interrogatoire des inculpés, de démêler les responsabilités et d’en saisir le Tribunal qui sera appelé à juger.
En dépit de l’armistice et de l’occupation militaire de la Capitale par les forces combinées anglo-françaises, le Comité jeune-turc a été, jusqu’à ces jours derniers, encore très puissant. L’administration presqu’entière du pays était à sa dévotion, perpétuant, sans scrupule ni retenue, le régime d’anarchie et de déprédation qui lui a si bien réussi durant ces longues années de guerre.
La mesure a fait impression et provoqué un véritable soulagement dans les classes encore saines de la population, destinée qu’elle est, espère-t-on, à assurer une punition sévère à ceux qui n’ont que trop longtemps foulé aux pieds la morale, la justice et l’humanité.
Marghetitch
Sur les mouvements nationalistes en réponse au traité de Sèvres
Constantinople, le 23 mai 1919
Monsieur le Ministre,
Depuis que le sort de l’Empire ottoman semble être fixé par les décisions de la Conférence (Traité de Sèvres), nous assistons ici à un mouvement général qui se manifeste sous des formes diverses. Ce mouvement est, en partie, spontané, en partie artificiel.
Spontané, de la part de tous les meneurs turcs et d’une infime minorité de la population, les uns et les autres s’étant jusqu’ici refusé à voir des réalités pourtant évidentes. En ce sens que la victoire des Alliés a porté, par elle-même, la solution de la question d’Orient, sous la forme d’une refonte complète de l’ancien Empire.
Artificiel, par les agissements des intellectuels turcs inféodés aux idées qui trouvèrent leur expression entière lors du régime jeune turc, et par l’action du Gouvernement, qui essaye d’intimider la diplomatie étrangère, en faisant valoir l’impossibilité de réprimer les élans de l’indignation populaire. En substance, c’est la menace de massacres.
Marghetitch
La situation vue de la province reculée
Constantinople, le 8 août 1919
Monsieur le Ministre,
La “Renaissance”, organe de la Nation Arménienne, éminemment documenté et nullement porté aux exagérations, constate, dans son Numéro de ce matin, que les habitants de plusieurs provinces de l’Empire ignorent toujours la défaite de l’Allemagne et de ses Alliés.
Le fait, avéré malgré toute son invraisemblance, caractérise la mentalité de certaines populations appelées aujourd’hui à élire des représentants au Parlement Ottoman.
J’ai l’honneur de vous faire parvenir, ci-joint, cet article, ne fût-ce qu’à titre de curiosité et pour noter l’une des nombreuses singularités du proche Orient turc, si éloigné encore de la culture européenne.
Marghetitch
Le succès de Kemal
Constantinople, le 3 Décembre 1919
Nous sommes, en Turquie, dans l’anarchie la plus complète, à nulle autre pareille dans l’histoire de ce pays. Toutes les variétés de l’insoumission et du désordre s’étalent au grand jour : brigandage, vols et assassinats, au détriment des populations paisibles, insuffisamment défendues par les pouvoirs réguliers, perdant tout espoir en des temps meilleurs et vivant dans une sorte de somnolence secouée de cauchemars ; rivalités entre particuliers et groupements, se pourchassant à qui mieux mieux ; action de bandes dirigées par les forces “nationales” de Moustafa Kémal contre celles, de création récente, dites “anti-nationalistes” ou “anti-unionistes”, et commandés par Ahmed Anzouvar bey ; aucune amélioration, depuis l’armistice, dans les parties non occupées de la province, le personnel de l’Union et Progrès étant inchangé ; le Trésor en détresse […] ; incertitude, partant de quoi assurer le payement des fonctionnaires de l’État ; nul contrôle dans le ravitaillement des masses, livrées, depuis des années, dans la Capitale comme ailleurs, à l’exploitation des intermédiaires, avec, pour conséquence, une chèreté unique, la misère et les épidémies.
Marghetitch
Menaces du bolchévisme
Constantinople, le 3 septembre 1920
Dans mon rapport politique en date du 15 août dernier, n°324/I25, j’ai eu l’honneur de relever combien était précaire et menaçante, au point de vue de l’extension du bolchévisme dans le proche Orient, la situation générale en Anatolie, vouée à tous les fléaux de l’anarchie et de l’arbitraire.
Les choses, loin de s’améliorer, après la signature du traité de Sèvres, prennent au contraire une tournure des plus critique et la presse de toutes les langues est unanime à en reconnaître la gravité […].
Marghetitch
Incendie de Smyrne
Constantinople, le 20 septembre 1922
L’épilogue de la reprise de Smyrne par les Turcs a été la réduction en cendres de la florissante capitale de l’Asie Mineure.
Quels que soient les efforts déployés par les défenseurs politiques des kémalistes, pour rejeter la responsabilité de cette calamité sur les Arméniens et les Grecs, les massacres suivis de pillages, dont la population chrétienne a été victime, suffisent, semble-t-il, à démontrer dans quel camp il faut rechercher les coupables.
À noter d’ailleurs que dans la version officielle sur l’incendie, publiée par le Représentant du Gouvernement d’Angora à Constantinople, en base de renseignements fournis par le Commandant militaire de Smyrne, aucune accusation n’est portée contre les chrétiens. Il serait injuste, d’autre part, d’imputer la catastrophe à des excès commis par les troupes régulières. Moustapha Kemal Pacha est trop avisé, pour avoir, de propos délibéré, laissé ternir son auréole par d’aussi épouvantables méfaits. […]
Le Baron G. de HUBSCH, chargé d’affaires de Belgique à Constantinople, à M. Henri Jaspar
Russie
L’Empire tricentenaire balayé par la guerre
A la fin du XIXème siècle, la Russie connaît un développement tardif mais fulgurant de son industrie, soutenu par l’intervention de l’État et des capitaux étrangers, notamment français. Les usines se multiplient dans les villes et de nombreuses lignes de chemin de fer sont construites, au premier chef le fameux Transsibérien (1891-1902).
Le pays connaît également une forte poussée démographique, passant de 100 millions d’habitants en 1888 à 128 millions en 1897. Cet essor démographique s’accompagne d’une urbanisation générale et de l’essor d’un prolétariat ouvrier concentré dans les grandes villes, soumis à de rudes conditions de vie et de travail, et de surcroît exclu de la vie politique. D’un autre côté la paysannerie, qui constitue toujours l’immense majorité de la population, souffre des archaïsmes structurels du pays. De fait la Russie n’a pas réussi à renouveler ses institutions malgré les demandes populaires exprimées, notamment lors de la révolution avortée de 1905. La Russie demeure une autocratie très centralisée et des régions entières du pays sont largement sous-administrées.
Malgré son potentiel très prometteur, la Russie va se révéler non préparée à affronter une longue guerre. De fait bien que pléthorique son armée est largement sous-équipée et souffre de problèmes d’encadrement.
La désillusion de la guerre moderne
Alliée de la France et de l’Angleterre, la Russie est entraînée dans la guerre à l’été 1914 par le jeu des alliances. La Russie est perçue par les alliés comme un véritable rouleau-compresseur car son armée est numériquement deux fois plus puissante que l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie réunies. De fait, l’armée russe compte 4 millions d’hommes et peut aussi théoriquement s’appuyer sur 27 millions d’hommes de réserve. Mais le manque d’infrastructures et de matériel ainsi que la désorganisation du pays empêchent une mobilisation dans de telles proportions. On compte par exemple, dans certaines unités, un fusil pour trois hommes, ce qui limite les possibilités de former les hommes appelés en remplacement des militaires tués (1 million en deux ans), blessés ou jetés en prison pour insubordination (900 000).
C’est notamment lors de la bataille de Tannenberg, fin août 1914, que les premières faiblesses se manifestent au sein des troupes. Pendant les mois qui suivent, l’armée enchaîne les revers, entraînant des reculs successifs. Nicolas II qui a pris le commandement de l’armée en 1915 se voit progressivement tenu pour responsable de ces échecs en série.
Les révolutions de 1917
Alors que, côté militaire, les troupes russes sont démoralisées et que les désertions se multiplient, côté civil, la situation n’est pas moins catastrophique : pénurie, famine, flambée des prix entraînent grèves et manifestations. Le Tsar, qui a pris la direction des opérations militaires en février 1917, est tenu responsable du désastre militaire tandis que son épouse, régente à Saint-Pétersbourg, est accusée par une partie de la population de travailler secrètement à la défaite de la Russie.
En février 1917, plusieurs jours de mobilisation font tomber le régime tricentenaire des Romanov. Un gouvernement provisoire s’installe mais décide de poursuivre la guerre aux côtés des alliés, ce qui le rend rapidement relativement impopulaire, d’autant plus que les tentatives d’offensives de cette période se révèlent aussi vaines que les précédentes. De plus, deux structures se disputent la légitimité du pouvoir : d’un côté le gouvernement provisoire contrôlé par des modérés, et de l’autre le Soviet de Petrograd où les bolchéviques, dirigés par Lénine, concentrent un pouvoir de plus en plus influent.
Après une première tentative dans le courant de l’été, les bolchéviques parviennent en octobre à renverser le gouvernement provisoire. En janvier se réunit l’assemblée constituante chargée de définir le cadre politique de la nouvelle Russie. Cependant, après une journée de débats, les bolchéviques décident de suspendre les travaux de cette assemblée qui ne leur est pas acquise. La dictature du prolétariat est en marche et les voix dissidentes vont être matées, au prix d’une terrible guerre civile.
Une paix séparée avec l’Allemagne
Le 21 novembre 1917, Lénine propose une négociation en vue de la conclusion d’un armistice. Il obtient une suspension provisoire des combats valable du 15 décembre au 4 janvier 1918. Le 3 mars 1918, à Brest-Litovsk, est signé un traité de paix séparée avec l’Allemagne. Cette paix est extrêmement coûteuse : la Russie est contrainte de céder, au profit de l’Allemagne, la Finlande, les pays baltes, la Pologne, une partie de la Biélorussie et de l’Ukraine. La Russie doit aussi payer de considérables indemnités de guerre à l’Allemagne.
De la guerre extérieure à la guerre intérieure
Grâce à la victoire des Alliés et à l’armistice du 11 novembre 1918, le traité de Brest-Litovsk est annulé. La “paix honteuse”, comme Lénine l’appelait, est rendue caduque. Cependant, la Russie est exclue de la signature des traités de paix. Ses frontières occidentales ne sont pas clairement définies, notamment avec la Pologne, raison d’une guerre entre les deux pays entre 1919 et 1920.
Alors que le régime communiste se consolide progressivement malgré, une terrible guerre civile, des centaines de milliers de Russes choisissent l’exil, pour la plupart en Europe occidentale.
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Bonne réponse !
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Faux, c’est sous l’industrialisation et l’urbanisation.
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Faux, c’est sous l’industrialisation et l’urbanisation.
Petrograd, le 27 novembre 1917
« Les élections pour la Constituante ont commencé en Russie, dimanche passé. Elles se poursuivent à Petrograd pendant trois jours. […]
Ce vote, universel et secret, n’est pas obligatoire. On n’a pas cru pouvoir imposer une contrainte, même morale, à ce peuple qui sans doute n’en aurait pas compris l’utilité. Aussi y a-t-il lieu de craindre de nombreuses abstentions. […] Les paysans se désintéressent presque totalement d’une lutte à laquelle ils ne comprennent rien. Il faudrait pour les instruire et leur permette une appréciation, une propagande prolongée dont l’étendue des régions ne permet pas même l’essai. […] »
Jules Destrée
Télégramme de Jules Destrée, ambassadeur belge en Russie, au comte de Broqueville, chef du gouvernement belge et ministre des affaires étrangères
Petrograd, le 1er décembre 1917
« Monsieur le Ministre,
Le gouvernement bolchevique avait, ainsi que je vous l’ai exposé dans mes précédents rapports, deux centres d’hostilité : le Soviet des Paysans et la Douma de la Ville. Il vient de résorber le premier et de dissoudre le second. […]
Les quelques membres libres de l’ancien Gouvernement Provisoire ont publié une protestation contre le Gouvernement bolchévique. Les journaux qui l’ont reproduit ont été supprimés et les signataires de cette protestation ont disparu pour ne pas être arrêtés. »
Télégramme de Jules Destrée, ambassadeur belge en Russie, au comte de Broqueville, chef du gouvernement belge et ministre des affaires Etrangères
Petrograd, le 27 décembre 1917
« […] Le bolchévisme fera disparaitre Lénine et Trotski et leur survivra, car cette doctrine – peut-on même appeler doctrine cette aspiration confuse ? – est l’expression même des tendances du peuple russe.
En attendant, la lutte que mène Trotski est pleine d’intérêt et l’on ne peut se défendre d’un sentiment d’admiration pour cet homme, laborieux dans un pays de paresse, courageux dans un pays de lâcheté, logique dans un pays d’inconséquence. Il a décidément éclipsé Lénine et dans le gouvernement actuel, il est tout. D’une activité infatigable, il inspire les décrets, prend les décisions, sur les affaires minimes comme su les affaires importantes, s’informe de tout, répond à tout, mène la guerre contre l’Ukraine et les Cosaques et les négociations de paix avec les Allemands, échange des aménités avec M. Clémenceau par radio et réplique aux socialistes français, écrit chaque jour un ou plusieurs articles, prononce chaque soir des discours pour entretenir le zèle de ses troupes et justifier sa politique. Le voir vivre ainsi est un spectacle prodigieux et autrement passionnant que celui que nous offrait Kerenski dont l’opinion européenne s’est si sottement entichée. […] »
Télégramme de monsieur de Selys, au comte de Broqueville, chef du gouvernement belge et ministre des Affaires étrangères
Stockholm, le 25 juillet 1918
« La famine règne à Pétrograd dans toute son horreur ! […] Pour prévenir les turbulences (…) le gouvernement bolchéviste a réparti pour la distribution du pain les habitants de Petrograd en 4 catégories : les ouvriers, matelots et les gardes de l’armée rouge […] ; les employés et salariés […] ; les chefs d’industries et les personnes exerçant une profession libérale […] ; les propriétaires d’entreprises et autres “infâmes capitalistes” […] ! Encore ces derniers n’ont-ils pas du pain tous les jours, et le président de la Commission de Ravitaillement, un pur ! a déclaré publiquement qu’il espérait que les “bourgeois” oublieraient bientôt le goût du pain. C’est l’extermination de la partie intelligente de la race par l’organisation officielle de la famine. D’un autre côté, dans les lieux de plaisir on ne rencontre que des groupes de marins, soldats et ouvriers à mines d’apaches qui sablent joyeusement le champagne et les liqueurs fortes en compagnie de femmes de mauvaise vie”
“L’étranger reste littéralement frappé de stupeur à l’aspect de la pâleur et de la maigreur cadavérique de ces spectres qui déambulent fantomatiquement, en misérables loques flottant autour de leurs torses, par les rues presque désertes de la capitale déchue et affamée … Les cas de mort par inanition ne sont pas rares, et l’on a vu des mères devenir folles de la faim qui leur ronge les entrailles, jeter à la Neva leurs enfants en bas âge pour tenter de leur épargner les souffrances d’une terrible agonie … “
D’après les récits des quelques voyageurs arrivés récemment en Suède par le dernier bateau de Petrograd, la situation en Russie serait tragique sous beaucoup de rapports.
Stockholm, le 26 juillet 1918
“Le 16 juillet, de grand matin, deux gardes rouges armés allèrent chercher l’ex-Tsar au lieu de son internement. Ils l’amenèrent en automobile en dehors de la ville où ils furent rejoints par dix autres gardes rouges. Ils lurent au souverain détrôné l’arrêté de mort prononcé contre lui par le Comité révolutionnaire.
Le Tsar demanda à être autorisé à voir sa femme et à pouvoir écrire à quelques-uns de ses proches. Ces deux faveurs lui furent refusées. Sans opposer aucune résistance et avec un sang-froid et un calme complet, Nicolas II se plaça devant les gardes rouges en refusant de se laisser attacher.
Il paraît, si les renseignements reçus ici sont exacts, que les bourreaux grandirent l’horreur de leur crime en abattant leur victime par des coups de feux séparés et espacés. Le corps fut ensuite emporté en automobile.”
Ch. Wauters
Stockholm, le 3 mai 1919
“On évacue Petrograd depuis le mois de mars dernier par crainte d’une attaque de Finlande. La population est réduite actuellement à environ 600 000 âmes.
Les conduites d’eau sont brisées dans presque toutes les parties de la ville, sauf dans une partie restreinte au centre de Pétrograd entre le Jardin d’Été et le Palais de Tauride.
Les ouvriers sont continuellement en grève, et le travail accompli est nul. A Poutiloff, les commissaires du Peuple avaient fait arrêter les meneurs, et ensuite Zinovieff et Steklov s’y sont rendus eux-mêmes pour parler aux ouvriers et rétablir l’ordre. Ils ont été empoignés et menacés d’être jetés dans les hauts-fourneaux s’ils ne faisaient pas remettre immédiatement en liberté les organisateurs de la grève.
Le 19 avril, des placards ont été affichés portant : “À bas Lénine et la viande de cheval: rendez-nous Nicolas et la viande de porc !”
Pour mener l’offensive en Russie contre le bolchevisme, on ne demande plus de contingents alliés, mais seulement une aide morale et financière ainsi que le concours et les conseils de quelques organisateurs et chefs de services techniques et du ravitaillement.”
Chine
De la chute de l’Empire du Milieu aux Seigneurs de guerre
Pour la Chine, la fin du XIXème siècle est une période troublée, marquée notamment par des conflits avec les puissances occidentales (Angleterre, France et Allemagne notamment), la Russie ou encore le Japon. Plusieurs défaites militaires l’obligent à de multiples concessions, notamment en matière de commerce et de liberté de circulation.
En 1908, après la mort de l’Empereur Guangxu dans des circonstances douteuses, le pouvoir passe à un nouvel empereur, Puyi, qui n’a que 3 ans. Alors que le pays est déjà très fragilisé, la régence qui s’annonce comporte bien des risques.
De fait, quelques années plus tard, en 1911, une révolution éclate et l’Empire multiséculaire cède le pas à une République le 1er janvier 1912. Sun Yat Sen, chef du parti révolutionnaire, est désigné président de la République mais le pays entre dans une longue phase de troubles et de conflits entre les autorités républicaines et les généraux.
Le chef de l’armée, Yuan Shikai, organise un coup d’état militaire en 1913 et parvient à s’emparer du pouvoir. Cet événement provoque l’éclatement de l’armée en plusieurs factions militaires rivales appelées “cliques” et déclenche la guerre de protection de la nation (1915-1916). Les affrontements entre “cliques” déchirent une partie du pays.
La Première guerre mondiale en filigrane
Alors que le pays connaît de profonds troubles, la Chine tente de rester à l’écart du conflit mondial en se déclarant neutre le 6 août 1914, un exercice compliqué car de nombreuses puissances étrangères sont présentes sur son territoire. En effet, le pays s’est vu imposer un grand nombre de « concessions » sous administration occidentale depuis le XIXème siècle.
Malgré cette neutralité affirmée par Pékin, le Japon pénètre le 2 septembre dans la région du Shandong, en démarrant le siège du comptoir allemand de Tsingtao. En janvier 1915, la puissance nippone présente à Pékin 21 demandes dont tout indique qu’elles sont inacceptables puisqu’elles conduiraient la Chine à devenir une sorte de protectorat. La Chine refuse. En mai, le Japon réitère sa demande avec 13 conditions. La Chine accepte mais ces 13 conditions ne font qu’entériner une situation existante et le conflit n’ira pas plus loin.
Malgré un climat interne très compliqué et le début, en 1917, d’une véritable guerre civile qui va perdurer jusqu’à la fin 1918, la Chine déclare la guerre à l’Allemagne le 14 août 1917 en prenant pour prétexte la guerre sous-marine menée à outrance par l’armée allemande de Guillaume II auprès des pays neutres.
Les travailleurs chinois
Si la Chine s’est officiellement engagée dans la Grande Guerre en 1917, elle a participé à l’effort de guerre avant cette date. Elle a fourni la main d’œuvre à l’arrière des forces occidentales par le biais de bureaux de recrutement organisés dans les comptoirs étrangers, ce qui a joué un rôle déterminant en France et au Royaume-Uni. Au total, près de 140 000 travailleurs chinois atteignent l’Europe occidentale pour se cantonner au front ouest. Sur ces 140 000, environ 96 000 sont employés par l’armée anglaise et 37 000 par l’armée française. Le reste sera mis à la disposition du corps expéditionnaire américain vers la fin de la guerre. Après le conflit, ils seront employés à des fins de reconstruction dans les nations victorieuses.
Une Chine lésée par les accords de paix
En 1919, le Traité de Versailles établit certaines clauses concernant les possessions allemandes en Chine. L’une d’entre elles prévoit que toutes ces possessions lui soient rendues mais une autre, relative à la région du Shandong, s’avère plus problématique. Cette clause (article 156) stipule un renoncement des droits allemands sur le Shandong et l’alloue directement au Japon. La Chine quitte la table des négociations de paix. Vécue comme une humiliation, cette clause sera responsable d’une flambée du nationalisme chinois et à l’origine d’un mouvement d’indignation populaire dit “mouvement du 4 mai”. Plus de 3000 étudiants de 13 universités se rassemblent pour protester contre les demandes japonaises. Le Traité de Versailles ne sera jamais ratifié par les autorités chinoises. Ce ressentiment sera également déterminant dans la fondation en 1921 du Parti communiste chinois.
Pékin le 4 février 1918.
« Monsieur le Ministre,
Le Gouvernement Chinois nous a fait connaître par l’entremise du Ministre d’Angleterre, sa décision d’expulser tous les sujets ennemis et de les déporter en Australie. Des raisons de politique intérieure lui imposaient toutefois une grande réserve et circonspection au sujet de mesures dont des indiscrétions compromettraient certainement l’exécution. Le public n’en serait averti que toutes dispositions utiles définitivement prises ; il comprendrait d’ailleurs difficilement les raisons qui militent en faveur de leur adoption (…). En outre si la décision s’ébruitait, certains sujets ennemis chercheraient à fuir la Chine ou à disparaître dans l’intérieur du pays et la tâche du Gouvernement deviendrait de la sorte plus difficile encore que ne la rend déjà la situation politique anormale. […] »
Paul May
Pékin, le 10 mai 1919
« L’incertitude où nous sommes des résolutions prises à Paris […] ajoute à la souffrance ou à la colère de ceux qui nourrissent quelques aspirations patriotiques qui craignent l’envahissement de leur pays par une race [les Japonais] qu’ils considèrent comme hostile et froidement ambitieuse. […]
Les réactions nationales ne se sont pourtant exprimées à la surface que par des articles modérés […], par quelques réunions publiques et, à Pékin, par un défilé de trois milles étudiants qui ont assailli dans sa maison le ministre des Communications, M. Tsao Ju Lin. Tandis que ce dernier réussissait à s’enfuir dans le quartier des Légations, le Représentant de la Chine à Tokyo, qui lui rendait visite, moins heureux, était saisi, roué de coups et grièvement blessé. […] »
Paul May
Pékin, le 12 mai 1919
“Le 4 juin, une manifestation de grande envergure provoque l’arrestation de trois cents étudiants qui cette fois se voient traités avec rigueur. […] Un grand déploiement de forces militaires et de postes de police, l’Université transformée en prison, incitent les étudiantes à se joindre au mouvement.
Dans les villes du Nord et du Sud des associations diverses, chambres de commerce, sociétés financières, organisent avec méthode le boycottage des marchandises de provenance japonaise. Cette entente patriotique entre les commerçants et intellectuels secoue la masse paisible des Chinois apathiques.
Les sujets japonais sont malmenés, les marchandises japonaises brûlées en maints endroits. Des émeutes éclatent, les ouvriers de toutes les catégories se mettent en grève à Shanghai. Les boutiques et les banques chinoises chôment et les banquiers européens ont fait avertir le corps diplomatique qu’ils craignaient de devoir eux aussi fermer leurs établissements. Les communications par chemin de fer sont interrompues entre Nankin et Shanghai.
Certes, la Chine a traversé des heures aussi graves. Mais dire que ces troubles ont peu d’importance serait bien osé. Des agitations comme celles-ci, qui paraissaient, au début, superficielles, ont entraîné des transformations qu’elles ne faisaient pas prévoir.”
Paul May
Pékin, le 9 Juillet 1919
“Lorsque la nouvelle se répandit dans Pékin que les délégués des Puissances attribuaient au Japon Tsingtao ainsi que les concessions de chemins de fer accordées à des groupes allemands avant la guerre, une sorte de dépression, d’abattement se manifesta d’abord. […] L’étonnement est né du spectacle offert par des jeunes gens de vingt ans soulevant l’opinion par la vivacité, la multiplicité, l’ampleur de leurs manifestations, obtenant le renvoi de hauts fonctionnaires et de ministres, ébranlant tout le Cabinet et jusqu’à la position du président de la République.
La Chine en refusant sa signature [au traité de Versailles] court un risque. Mais elle a employé la dernière arme qui lui restait pour empêcher la consommation immédiate du triomphe diplomatique remporté, à son détriment, par les cabinets de Tokyo […]. Comme résultat, d’après le traité de Versailles, le réseau des voies ferrées japonaises encercle désormais Pékin, devenu une sorte d’enclave. […] Le Gouvernement Chinois conduit par le parti militaire a eu la faiblesse regrettable, qui l’a singulièrement gêné dans la défense de sa cause, d’emprunter sans cesse en donnant en gage mines, chemins de fer, droits de diverses nature.”
Pékin, le 25 décembre 1919
Une bagarre, un échange de coups de revolver entre convoyeurs de marchandises japonaises et étudiants chinois a causé, à Foochow, deux décès et des blessures graves. Les adversaires présentent, sur l’origine de la rixe, des versions contradictoires, inconciliables. Les éléments, dont des professeurs et des missionnaires américains entretiennent l’ardeur, se sont emparés de ce qui n’était en apparence qu’un gros fait divers pour susciter de nombreuses manifestations. Des cortèges portant bannières et inscriptions ont de nouveau défilé dans les principales artères de tous les grands centres. Cette forme d’agitation tendait à disparaître. Les journaux mènent campagne. Les pétitions affluent à Pékin. Les autorités de Canton pressent un Gouvernement, qu’elles ne reconnaissent pourtant pas, à employer la manière forte vis-à-vis du Japon. […]
Un incident local, la violence de quelques individus a soulevé plus d’émotion que les réserves du Sénat Américain à l’égard du traité de Versailles et les négociations relatives à la constitution du nouveau Consortium bancaire. […]
J. de Villenfagne
Pékin, le 9 septembre 1920
« La situation alimentaire du Nord de la Chine est devenue extrêmement grave par suite du fait qu’il n’y a pas eu, cette année, de saison des pluies. Dans les provinces de Chihli, Shansi, Honan et Shantung, on a abandonné tout espoir d’une récolte tardive et l’on envisage avec la plus grande anxiété la venue de l’hiver au cours duquel une population, évaluée à 20 000 0000 d’habitants, est exposée à mourir de faim.
Les rapports qui affluent à Pékin et qui émanent des autorités chinoises, et aussi de toutes les missions étrangères, signalent que dans bien des districts la misère est déjà indescriptible, que les habitants des campagnes sont réduits à se nourrir d’herbe, d’écorce et de feuilles des arbres, qu’ils ont vendu pour des sommes dérisoires les bestiaux qu’ils se trouvent dans l’impossibilité de nourrir et que nombre d’entre eux vendent même leurs filles pour ne pas les voir mourir de faim.
Cette situation a vivement ému le Gouvernement chinois ainsi que les colonies étrangères, non seulement parce que, au point de vue humanitaire, il importe d’organiser d’urgence un ravitaillement efficace de ces populations, mais aussi parce qu’il est à craindre qu’au cours de l’hiver une masse considérable de réfugiés n’envahissent la capitale et les autres villes et y créent des troubles. […] »
Robert Everts
Japon
L’Empire s’ouvre
Le Japon connaît une évolution importante à la fin du XIXème siècle, en passant – sous l’influence de l’empereur Mutsuhito – d’une société fermée sur elle-même à un Empire industrialisé et moderne. En 1889 une constitution est promulguée, des institutions politiques calquées sur les pratiques occidentales sont mises en place. Le commerce se libéralise, des universités créées et les institutions judiciaires et militaires sont refondées.
Cette modernisation du Japon s’illustre avec fracas lors de la guerre russo-japonaise de 1905 lors de laquelle, contre toute attente, la puissante Russie subit une humiliante défaite. Saint-Pétersbourg doit reconnaître au Japon le droit d’accroître sa présence en Mandchourie et en Corée.
Après la mort de l’empereur Meiji en juillet 1912, une nouvelle période s’ouvre, marquée notamment par un retour de l’autoritarisme et une politique de plus en plus impérialiste.
L’entrée du Japon dans la première guerre mondiale
Allié de l’Angleterre depuis 1902 le Japon se déclare dans un premier temps neutre mais accepte de s’engager dans la guerre, sur demande britannique, avec l’objectif inavoué d’en profiter pour développer son expansion coloniale. Le 23 août 1914 le Japon déclare la guerre à l’Allemagne et 2 jours plus tard à l’Autriche-Hongrie.
Cette guerre est pour le ministre des Affaires étrangères Kato Takaaki et le Premier ministre Okuma Shigenobu le moment idéal d’étendre l’influence japonaise en Chine et pour la Marine impériale japonaise de prendre le contrôle des îles micronésiennes que les Allemands occupent dans le Pacifique. La guerre, essentiellement maritime, entre Japonais et Allemands, ne dure que quelques mois, Tokyo parvenant rapidement à prendre l’avantage sur les unités allemandes présentes sur zone.
Tokyo tente également de profiter des désordres en Russie pour avancer ses pions en Sibérie.
En 1918, suite à la révolution bolchévique en Russie, le Japon envoie ainsi des forces armées en Sibérie aux côtés des Etats-Unis pour soutenir l’armée blanche d’Alexandre Koltchak.
Une difficile sortie de guerre
Si la Première Guerre mondiale affecte finalement peu le Japon qui tire même des bénéfices de cette période – quadruplant ses exportations et écoulant avec facilités ses marchandises vers l’Europe – la période qui suit le conflit s’avère plus compliquée. Le pays est soumis à une forte inflation et traverse une période de reconversion compliquée marquée par des “émeutes du riz” qui donnèrent lieu à des affrontements armés.
Tokyo et le traité de Versailles
Le Japon en 1919 se trouve à la table des négociations du côté des vainqueurs de la Première Guerre mondiale avec une revendication principale : la reconnaissance de ses droits sur les territoires de la région anciennement allemands. Le Japon obtient un mandat de la Société des Nations sur les îles allemandes dans le Pacifique au nord de l’équateur et un transfert des droits allemands sur la baie de Jiaozhou à l’Est de la Chine, malgré les protestations chinoises.
Tokyo, le 18 janvier 1918
“Le conflit qui sévit en Europe constitue pour le Japon une occasion exceptionnellement favorable de développer son influence sur la république chinoise et il ne manque pas d’en user largement. Si la guerre se prolonge, il parviendra à y acquérir une prépondérance incontestable, qui rendra malaisé pour tout autre pays, non seulement d’y développer ses intérêts, mais même d’y défendre ceux qu’il possède. (…)
L’activité japonaise ne se borne pas à la Chine, elle s’étend à bien d’autres pays encore, notamment à l’Amérique centrale et du Sud. L’émigration nippone vers ces parages prend une extension qui s’accentue de jour en jour. (…) Ce mouvement est aussi favorisé par la guerre actuelle et a pour conséquence un développement considérable des relations commerciales avec ces pays. Le Japon cherche avec succès, semble-t-il, à y occuper la place que l’Allemagne y avait jadis”.
Comte G. della Faille de Leverghem
Tokyo le 23 aout 1918
« Des désordres sérieux se sont produits dans plusieurs localités du Japon cette semaine. A Tokyo et dans le nord de l’Empire, ils ont eu le caractère de manifestations nombreuses et bruyantes avec quelques actes de violence ; dans le sud, notamment à Osaka, Kobé et Kyoto, ainsi que dans plusieurs villes et villages des îles Kyushu et Shikoku, il s’est agi de véritables émeutes. Au moment où j’écris ce rapport, le calme n’est pas rétabli et j’apprends que des soulèvements plus ou moins graves, ont encore lieu dans les préfectures du midi. Dans 26 localités la police et la gendarmerie ont été impuissantes à maîtriser la populace et l’intervention de l’armée a été nécessaire ; plus de cent maisons ont été détruites par le feu ; il y a eu quelques morts et des blessés. […]
L’occasion a été une hausse anormale dans le prix du riz, la nourriture principale du peuple. La cause, je crois, est plus profonde. Elle réside dans le mécontentement de la classe ouvrière qui se sent exploitée. On semble s’approcher ici de la période des crises sociales, que traversent les pays dont l’industrie est développée. »
Comte G. della Faille de Leverghem
Tokyo le 23 aout 1918
La bourgeoisie japonaise n’existe que depuis une soixantaine d’années. Elle est née après la restauration impériale, lorsque le Japon, ouvrant ses frontières aux relations internationales, a favorisé l’essor de son commerce et de son industrie. La fortune de cette bourgeoisie, peu nombreuse d’ailleurs, a été rapide, presque vertigineuse ; ce mouvement de prospérité inattendue et inespérée s’est accentué au cours de la présente guerre. La classe ainsi favorisée n’y était pas préparée ; elle comprend beaucoup de gens d’éducation insuffisante, dont la richesse a fait des jouisseurs égoïstes, extravagants dépourvus de scrupules. Leur unique préoccupation est de gagner de l’argent, tous les moyens leurs sont bons.
Comte G. della Faille de Leverghem
La surprise de l’Armistice
Tokyo, le 24 novembre 1918
“La signature du traité d’armistice, mettant fin au conflit, qui depuis plus de quatre années ensanglante l’Europe […], a provoqué au Japon une réelle surprise. L’opinion générale ici, était que les armées teutonnes, bien que débordées par le nombre supérieur des troupes qui leur étaient opposées, étaient cependant encore en mesure d’offrir une résistance d’une certaine durée. […] En un mot les Japonais, surtout les officiers supérieurs de l’armée, étaient d’avis que les Allemands résisteraient jusqu’à la dernière cartouche. Ils étaient certains par conséquent que l’armistice serait rejeté. Grand fut leur étonnement en apprenant qu’ils s’étaient trompés ; que ces Allemands qu’ils admiraient tant, qu’ils ont pris pour modèles depuis plus de trente ans, dont ils croyaient la victoire, ou au moins la capacité d’empêcher un succès décisif de leurs ennemis, certaines ; acceptaient des conditions dures et humiliantes, alors qu’ils avaient encore en ligne des troupes considérables et capables d’un sérieux effort.”
Comte G. della Faille de Leverghem
L’opinion japonaise sur la conférence de la Paix
Tokyo le 3 février 1919
“Les développements de la conférence de Versailles absorbent fort, pour le moment, l’attention de l’opinion, dans tous les milieux éclairés du Japon. […] Les premiers débats ont eu pour but de tâcher d’obtenir une déclaration du Gouvernement au sujet des conditions de paix qui seront réclamées par les plénipotentiaires de l’Empire. […]
Ensuite des questions ont été posées à la Chambre en ce qui concerne l’avenir des anciennes possessions allemandes en Extrême-Orient ; le ton animé adopté à ce sujet par les parlementaires, et par la presse, est une indication claire de l’intérêt passionné que la solution de ce problème soulève ici. L’opposition qui, d’après les journaux, aurait été faite par les délégués australiens, à ce que les Îles Carolines et Marshall d’Océanie, soient données au Japon, a soulevé des commentaires et des protestations à Tokyo ; la combinaison consistant à confier ces archipels à l’administration nippone, en vertu d’un mandat de la ligue des Nations paraît toutefois, de nature à satisfaire les Japonais. Ceux-ci considèrent en général, la ligue des nations comme une institution non viable, qui si elle voit le jour, n’aura qu’une existence éphémère. Ils pensent par conséquent que le mandat dont il s’agit, se transformera tôt ou tard, en une annexion pure et simple des îles par l’Empire. […] »
Comte G. della Faille de Leverghem
Tokyo le 24 décembre 1918
“[…] j’ai eu l’honneur de vous signaler le malaise social qui existe au Japon. La fin de la guerre, différente de ce que l’on prévoyait ici, la crise qui en résulte pour certaines industries, la continuation de la hausse du coût de la vie, ne sont pas de nature à améliorer la situation. Les Japonais ont surestimé les avantages économiques qu’ils pouvaient attendre de la guerre ; ils ont d’autre part, pensé que celle-ci se prolongerait deux ou trois années de plus ; ils ont organisé leur production en conséquence. […] Les conséquences ne se sont pas fait sentir très durement jusqu’à présent, en ce qui concerne les ouvriers, parce qu’il a été possible d’occuper une grande partie de la main d’œuvre des usines qui ont cessé de fonctionner, dans les arsenaux et les autres établissements de l’Etat […]. Mais les cercles compétents prévoient un développement considérable du problème social et sont inquiets sur ce que réserve à cet égard un prochain avenir. La question des sans-travail les préoccupe principalement.”
Comte G. della Faille de Leverghem
Tokyo le 16 juin 1919
Le mouvement anti-japonais en Chine est suivi très attentivement par la presse nippone qui se montre fort violente dans ses appréciations, non pas tant sur les Chinois, mais surtout contre les éléments anglais et américains en Chine, qu’elle accuse – spécialement les Américains et non sans raison sans doute – d’être les instigateurs du mouvement actuel ; mouvement qui – d’après les journaux indigènes – a déjà cessé d’être anti-japonais pour prendre une tournure nettement xénophobe en attendant qu’il se développe en une évolution bolchévique.
Comte G. della Faille de Leverghem
Empire austro hongrois
Un empire multinational et de plus en plus polarisé
Depuis le compromis de 1867 L’Empire est une double monarchie ou la Hongrie a été restaurée en tant que royaume et bénéficie d’une autonomie large. Seuls 3 ministres sont communs à l’ensemble de l’Empire. A une époque marquée par le réveil des nationalités d’autres peuples de cet empire multinational vivent mal le fait d’être exclus des responsabilités (slaves notamment). Ces difficultés internes se doublent de tensions avec les voisins. En 1908, l’Autriche-Hongrie annexe ainsi formellement la Bosnie-Herzégovine ottomane sur laquelle elle exerçait déjà une domination de fait. Cette annexion entraîne une montée des tensions avec le royaume de Serbie et avec son allié russe qui manque de peu de déboucher sur un conflit armé.
Un État en sursis
A la veille de l’entrée en guerre, malgré un indéniable dynamisme économique, les tensions politiques demeurent vives au sein de l’Empire, attisées notamment par la politique de magyarisation mise en place dans la partie hongroise de l’Empire.
Malgré cette situation et alors qu’est décrétée la mobilisation générale, les nationalités qui composent l’Empire restent, dans une première période, encore loyales au régime. Mais cette situation ne dure pas, sur fond de graves difficultés économiques et de pénurie. L’armée est de plus en plus tiraillée par les divisions nationales et l’Etat major doit déployer des efforts importants pour éviter la défection de certaines unités.
En 1916, le vieil empereur François-Joseph s’éteint et son petit neveu Charles Ier accède au trône. Il a l’ambition de mener d’importantes réformes dont une fédéralisation de l’Empire mais les résistances internes contrecarrent ce projet.
Sur le plan diplomatique et militaire sa politique n’est pas davantage couronnée de succès. Sa tentative de paix séparée négociée avec les alliés tourne court et la situation militaire se dégrade, notamment suite à la défaite des armées austro-hongroises face à l’Italie en juin 1918.
L’avènement des États-nations sur les ruines de l’Empire
Le délitement de l’Empire est en marche et les tentatives de l’éviter de l’empereur n’ont que peu d’effets. Des manifestations éclatent dans plusieurs villes de l’Empire : Prague, Zagreb, Cracovie… Charles Ier tente de calmer le chaos général en annonçant une fédéralisation de l’Autriche-Hongrie. Mais il est trop tard, les minorités ont déjà proclamé leur indépendance ou, du moins, amorcé leur divorce avec la double monarchie.
Après l’armistice du 11 novembre 1918, Charles Ier abdique. L’empire austro-hongrois cède la place à sept États où se répartissent ses anciens 50 millions de sujets. Trois États sont fondés sur les ruines austro-hongroises : l’Autriche, la Hongrie et la Tchécoslovaquie. Au sud de l’empire un nouvel Etat voit le jour, la Yougoslavie. Certains territoires de l’ancien empire sont enfin annexés par l’Italie et la Roumanie.
Londres, le 7 septembre 1918
“Wickham Steed (célèbre historien anglais) croit en la possibilité de réunir toutes les populations Yugo-Slaves en un seul groupe dont la Serbie serait le centre. Cet avis n’est pas partagé par un homme politique que j’ai très bien connu […].
D’après lui il faut se rappeler que dans les régions Balkaniques […] la religion a la même importance que la nationalité, et l’on ne verra jamais les croates et les Slovènes catholiques consentir à entrer dans une combinaison politique à laquelle l’hégémonie de la Serbie donnerait un caractère orthodoxe.”
Baron Moncheur
Paris, le 21 octobre 1918
“[…] à Vienne, la situation est bien plus mauvaise encore. L’Autriche est un mot vide de sens. Le décret de l’empereur divise l’Empire en quatre provinces autonomes : Tchéco-Slovaques, Yougo-Slaves, Allemandes, Ukrainiennes, qui ne sont rattachées entre elles que par le lien extrêmement ténu du fédéralisme ; il ne parle pas des Galiciens destinés à faire partie de la Grande-Pologne, tandis que Trieste deviendrait une ville libre.
Ce décret a bien des défauts, dont le premier est d’arriver trop tard. Pris en janvier dernier, il eût sans doute rendu M. Wilson plus sympathique à la cause de l’empereur Charles. […]
La seconde faiblesse de la réforme est de ne s’appliquer qu’à l’Autriche. Or, les rares Tchéco-Slovaques et Yougo-Slaves chevauchent sur l’Autriche et sur la Hongrie. […]
Enfin, le troisième défaut du décret du 17 octobre est d’isoler les Allemands d’Autriche au milieu de nationalités hostiles et de les jeter dans les bras de l’Allemagne.”
Baron de Gaiffier d’Hestroy Edmond
Londres, le 13 décembre 1918
“M. Mazarik vient de passer quelques jours à Londres en revenant des Etats-Unis. Il a été reconnu comme président de la république Tchéco-Slovaque par la France et l’Angleterre. La politique de ces deux Puissances tend à encourager la formation dans l’Europe Centrale de quatre grands états : celui des Tchéco-Slovaques, la grande Pologne, la Hongrie et la Yougoslavie, de manière à réaliser, dans un sens conforme toutefois aux intérêts de l’Entente, la Mittel-Europa rêvée par l’Allemagne.
Baron Moncheur
Vienne, le 3 mai 1920
Nous avons vu défiler beaucoup de drapeaux rouges avec des inscriptions en l’honneur du régime russe et des Soviet. La Volkswehr [défense du peuple] était largement représentée dans la manifestation, beaucoup de soldats ont défilé dans le cortège en uniforme avec des fleurs rouges à la boutonnière. Je dois même ajouter que j’ai rencontré en ville des pelotons armés qui circulaient en ordre de marche, avec les emblèmes socialistes.
La composition de la “Reichswehr” préoccupe beaucoup les partis conservateurs, c’est l’unique force armée actuellement et elle dispose de l’arsenal, de l’artillerie, des mitrailleuses et en général de tout l’armement disponible ; on assure que ses tendances sont nettement communistes.
La police est encore le seul élément sur lequel on puisse compter pour le maintien de l’ordre seulement leur nombre est trop petit pour pouvoir intervenir en cas de troubles sérieux et toutes les tentatives qui ont été faites pour augmenter ses effectifs ont été aussitôt entravées par les autorités politiques.
R. Leghait
Vienne, le 17 Mai 1920
La manifestation d’hier était grandiose mais offrait un spectacle fort triste pour nous. Une multitude, que les journaux évaluent à 60 000 personnes, a défilé sur les boulevards avec une quantité considérable de drapeaux aux couleurs noir rouge et jaune. Quand on se souvient des émotions que nous causait en pays alliés, pendant la guerre, l’enthousiasme envers notre drapeau avec les couleurs légèrement transposées, il est pénible de devoir assister muet à une procession de gens qui tous portent un emblème à la boutonnière, aux couleurs allemandes, et chantent en chœur le “Deutchland über alles”. […]
R. Leghait
États-Unis
L’îlot américain
A la veille de la Première Guerre mondiale les Etats-Unis sont déjà une des puissances majeures sur l’échiquier mondial. Une puissance cependant relativement discrète. Depuis le XIXème siècle le pays est de fait fidèle à la « doctrine Monroe » qui promeut une politique isolationniste sur la scène internationale.
C’est dans cette logique que les Etats-Unis se déclarent neutres alors que débute la Première Guerre mondiale même si au sein de la population demeure un attachement assez large à deux pays : la France célébrée pour son soutien dans le combat des Américains pour l’indépendance et le Royaume-Uni avec lequel le pays entretient une relation spéciale.
De la neutralité à l’engagement
Trois événements font basculer le pays dans la guerre. En février 1915, la marine allemande torpille le Lusitania – paquebot britannique au départ de New-York et à destination de Liverpool. On déplore 1200 morts dont 128 américains. En 1917, les attaques sous-marines allemandes redoublent, entravant la navigation commerciale et civile dans les eaux atlantiques. Un cargo américain, le Viligentia, est coulé. Enfin un télégramme secret allemand à destination du Mexique achève de convaincre les plus réticents à s’engager dans le conflit. Ce document, le « télégramme Zimmermann » – est intercepté par les Britanniques. Il révèle aux Américains que l’Allemagne compte s’allier avec le Mexique en cas de déclaration de guerre, Berlin promettant au Mexique, en cas de victoire, le rattachement du Texas, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona. Le 6 avril 1917, le Congrès vote la guerre à 373 voix contre 50.
Le nouvel ordre mondial
Même si l’armée US est à l’époque relativement modeste l’engagement de plus d’1,5 million de soldats américains dans la guerre aux côtés des alliés va avoir un rôle décisif dans le conflit, contribuant à leur victoire alors que l’issue du conflit demeurait, début 1918, encore largement incertaine.
Cet engagement américain va préluder à un engagement plus massif des Etats-Unis en vue de peser dans les affaires internationales. Au début de l’année 1918, Wilson expose son programme de sortie de guerre connu sous la forme de Quatorze Points. Il vise une “paix sans victoire” qui éloignerait, sur du long terme, toute tentative de guerres sur le Vieux Continent et propose la création d’une organisation internationale dédiée à assurer la paix : la future Société des Nations (SDN).
La résistance du Congrès
Après la victoire des alliés en novembre 1918 le président américain s’implique fortement dans les négociations de paix qui s’ouvrent à Versailles. Wilson milite pour ne pas humilier les pays vaincus. Il travaille aussi à faire accepter son projet de création de la Société des Nations.
Cependant c’est dans son propre pays que Wilson peine à convaincre de la pertinence de ses projets.
Le Congrès américain ne ratifie ainsi pas le traité de Versailles en novembre 1919 et s’oppose à l’entrée des Etats-Unis au sein de la SDN pour la création de laquelle le président américain s’était pourtant tant battu … Wilson obtient le prix Nobel de la paix en 1919, mais les Etats-Unis reviennent à leur politique isolationniste. Des quotas sont imposés successivement en 1921 et 1924, réduisant l’immigration sur fond de montée en puissance du Ku Klux Klan.
Le pays connait aussi certaines difficultés sur le front économique avec une crise de surproduction liée au redémarrage de l’économie des pays européens. La période qui s’ouvre va également être marquée par la prohibition et une cassure de la société, partagée entre frange puritaine et une frange plus libérale.
L’opinion US se passionne pour la guerre…
Washington D.C., le 18 avril 1918
“L’opinion publique américaine suit avec un intérêt passionné les fluctuations de la grande bataille qui se livre actuellement sur la Somme. Jamais jusqu’ici, l’âme américaine n’a vibré autant qu’en ces jours à l’unisson de la nôtre et l’on sent réellement que la guerre à l’Allemagne est devenue une guerre nationale.
Les premières nouvelles parvenues ici étaient bien faites pour inspirer la crainte et l’inquiétude sur le sort de Paris et des ports français du Pas-de-Calais.
L’information publiée dans la presse que des contingents américains prenaient part à la bataille a été saluée avec allégresse par le sentiment public, heureux de penser que la coopération militaire des Etats-Unis avec les alliés, si réduite qu’elle soit, était pourtant définitive et réelle.”
De Cartier
…et est confiante sur son issue
Washington D.C., le 18 avril 1918
“Les avantages obtenus par les Allemands dans leur présente offensive en Flandres, en Artois et en Picardie, n’ont en rien démoralisé le sentiment public, qui s’enflamme au contraire de plus en plus pour la guerre. Nulle part on ne semble douter du triomphe final de nos armes.
L’idée de représailles, elle aussi, gagne du terrain, à telle enseigne que les autorités se sont enfin décidées à imposer aux prisonniers de guerre allemands aux Etats-Unis l’obligation de créer de leurs mains et d’entretenir eux-mêmes les routes autour de leurs camps d’internement.
De même, il se manifeste dans les milieux militaires une sévérité sans cesse croissante contre les officiers et soldats coupables de manifestations anti-patriotiques. On vient, par exemple, de retirer son commandement à un Général de brigade qui, né et élevé en Allemagne, y avait fait son éducation militaire, et, par une inconcevable négligence, avait été nommé au poste qu’il occupait jusqu’en ces derniers temps sur la frontière mexicaine, malgré ses origines suspectes.”
De Cartier
Washington D.C., le 8 octobre 1918
“Le Président a prononcé un discours sur les conditions d’après lesquelles une paix durable peut être assurée au monde.
Dans le style élevé qui lui est familier, le Président a développé ce thème en termes généraux. Il a préconisé la création, au moment de la conclusion de la paix, d’une ligue des nations, basée sur les principes de justice et de liberté qu’il a énoncés dans des discours précédents.
(Le président a déclaré) que lors de la paix, même pour les Alliés, les intérêts particuliers de chaque nation devront céder devant l’intérêt général de toutes les nations. C’est là le point le plus important de tout le discours.”
De Cartier
Washington D.C., le 20 novembre 1918
La conclusion de l’armistice a été célébrée en Amérique avec un enthousiasme délirant. Par suite d’une fausse interprétation qui s’était, dit-on, produite dans les milieux américains de France, la nouvelle était arrivée le jeudi, 7, veille du jour de la remise de l’armistice aux délégués allemands, que cet armistice était conclu. Aussitôt après éclatait dans la plupart des villes américaines des démonstrations d’une joie sans frein. Toutefois, le monde officiel et le monde diplomatique, étonnés de la prématurité de la nouvelle, s’étaient abstenus de participer à la joie générale et bien leur en pris puisque quelques heures à peine après le commencement de celle-ci, sur informations prises par le Gouvernement américain à Paris, la nouvelle officielle était répandue que l’acte espéré n’était pas conclu.
Mais lundi, le 11, l’annonce, vraie cette fois, de la conclusion de l’armistice a été faite en Amérique et le pays s’est aussitôt livré avec la même spontanéité que la première fois à ses démonstrations de joie. Il y eut dans toutes les villes une foule énorme chantant, criant et sifflant dans les rues. […]
De Cartier
Washington D.C., le 6 mars 1919
Débats au Sénat sur la future « Ligue des Nations »
“[…] le projet de Ligue des Nations a continué à faire l’objet de longues discussions au Sénat américain. […] Les principaux arguments que les adversaires du projet ont fait valoir sont en somme les suivants :
Pareil projet serait contraire à la Constitution américaine et obligerait les Etats-Unis à abandonner leur politique traditionnelle d’éviter toute alliance compromettante, et leur ferait prendre part à la politique européenne, ce qui serait une source de danger ; il mettrait en péril le maintien de la doctrine Monroe ; il porterait atteinte à la souveraineté même des Etats-Unis. […]
Il y a aussi le danger que la Ligue, avec ses principes d’internationalisme, ne favorise le développement du bolchévisme dans le monde etc.”
Washington D.C., le 6 juin 1919
“Les deux branches du Congrès viennent de se prononcer en faveur d’un amendement à la Constitution des Etats-Unis en vue d’accorder le droit de suffrage aux femmes. […]
Cet amendement, après avoir été ainsi adopté par une majorité des deux tiers des voix à la Chambre et au Sénat, devra être ratifié par la législature des trois quarts des états de l’Union. […] Déjà les femmes jouissent du droit de suffrage dans 28 états de l’Union ; la mesure proposée vise à leur donner le droit de suffrage dans tous les territoires des Etats-Unis. […]
Depuis de nombreuses années, cette réforme avait été proposée au Congrès, mais elle n’avait jamais abouti à un vote définitif. Les représentants et Sénateurs des états du Sud y étaient opposés, parce qu’ils craignaient tout amendement à la Constitution relativement à la question délicate du droit de suffrage. Comme on le sait, en effet, un amendement a été inséré dans la Constitution des Etats-Unis, après la guerre de la Sécession, en vue de donner le droit de suffrage aux noirs ; mais dans la pratique, les divers états du Sud dans lesquels les noirs sont nombreux, ont toujours réussi, en faisant des lois électorales spéciales, à ne pas permettre aux noirs de voter. […] »
De Cartier
France
Entrée en guerre
Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès est assassiné. Le pacifiste de gauche luttait depuis longtemps contre la marche vers la guerre qui semble inexorable.
Le choc de cet assassinat ne va pas empêcher l’inexorable marche à la guerre.
Le 2 août 1914, la France décrète ainsi la mobilisation générale et, dans les jours qui suivent, une large partie de l’Europe sombre dans le conflit.
Si la population n’est au départ pas particulièrement enthousiaste par l’idée d’une nouvelle guerre, elle est cependant baignée d’une exacerbation des sentiments patriotiques et nationalistes. Un discours qui s’appuie notamment sur la volonté de reprendre le contrôle de l’Alsace-Lorraine, tombée sous contrôle allemand après la défaite de 1870.
Une très couteuse guerre de position
En France comme en Allemagne, les Etats-majors anticipent une guerre courte privilégiant les stratégies offensives mais dès la fin 1914 – après un moment de panique lors duquel les armées allemandes se retrouvent à 32 km de Paris – le front se fige à l’Est de la France contraignant progressivement les soldats à s’enterrer dans des tranchées où les conditions de vie sont particulièrement épouvantables. Alors que l’Etat-major français contraint les soldats à de vaines offensives parfois extrêmement meurtrières une formidable lassitude s’empare des soldats que les français vont désormais appeler les « poilus ».
En 1917 alors que la guerre dure déjà depuis 3 ans, l’offensive de Nivelle – conçue pour apporter une victoire rapide et décisive pour les français se solde par un échec terrible causant près de 200 000 victimes. L’exaspération conduit à un mouvement de fronde au sein de nombreuses unités et à des refus d’obtempérer. Des dizaines de mutins sont fusillés.
Face à une guerre qui s’éternise la France doit, à la hâte, réorganiser son économie. Les femmes sont largement mises à contribution pour permettre à l’économie de fonctionner tandis que les colonies sont également pleinement mobilisées.
Un pays vainqueur mais exsangue
Début 1918, alors que l’issue de la guerre est encore très incertaine l’engagement des Etats-Unis contribue largement à faire pencher la victoire du côté des alliés. Cependant, si la France fait partie des vainqueurs de la Première guerre mondiale, le pays a payé un immense tribut à la guerre. Le bilan du conflit est catastrophique : 10 % de la population a disparu et 20 % souffrent de traumatismes et de handicaps.
300 000 logements ont été démolis, 50 000 kilomètres de route sont devenus impraticables et 3 millions d’hectares sont incultivables.
Les tensions économiques perdurent pendant les années qui suivent la guerre sur fond d’inflation et d’endettement.
Faire payer à l’Allemagne
Après la fin de la guerre s’ouvre, dès janvier 1919, la conférence de Paris chargée d’ « organiser » le monde d’après-guerre, d’avaliser les gains et pertes territoriales des anciens belligérants et de déterminer indemnités de guerre.
Contrairement à la volonté du président américain d’éviter d’humilier l’Allemagne, le président du Conseil français souhaite faire payer le prix fort à Berlin, contraint d’accepter d’énorme indemnités de guerre. Le traité de Versailles signé en juin 1919 consacre l’affaiblissement de l’Allemagne. Un affaiblissement qui ne sera pas anodin dans la montée du nationalisme allemand quelques années plus tard.
Paris, le 19 avril 1918
“Nous traversons les heures les plus sombres de la guerre, et, bien que dans les cercles militaires français, la confiance soit entière, nul ne saurait prédire l’issue de la bataille gigantesque engagée, parce qu’on connaît fort mal les ressources allemandes.”
Paris, le 7 juin 1918
“Actuellement l’Allemagne est victorieuse ; traiter avec elle serait se soumettre à son hégémonie. […] La faiblesse de la situation vient de l’amincissement des effectifs et du peu de champ que les alliés ont pour rompre entre la Marne et Paris. C’est pourquoi on doit agir comme en 1914 : prendre toute la France pour champ de bataille, et faire de Paris une place forte. A cause des progrès accomplis par l’artillerie, la Capitale risque fort d’être détruite ou tout au moins endommagée. Toutefois, la France à l’âme stoïque, elle ne tremblera pas et ne ploiera pas devant le plus dur sacrifice qui lui ait été imposé.”
De Gaiffier d’Hestroy Edmond
Paris, le 27 juillet 1918
“L’opinion française est d’une mobilité déconcertante ; il y a six semaines, bien que l’armée fût décidée à continuer la lutte à outrance, on croyait la partie compromise. […]
Aujourd’hui le revirement est complet, les cœurs sont rassérénés. La victoire n’apparaît pas seulement comme certaine, mais on ne met pas en doute un écrasement militaire de l’Allemagne qui permettrait d’annuler la paix de Brest-Litovsk comme celle de Bucarest. Quels sont les événements qui ont amené ce revirement ?
D’abord l’équilibre des forces qui avait été rompu en faveur de l’Allemagne […] est en voie de rétablissement. Ensuite l’offensive allemande dont on prophétisait le caractère irréversible s’est transformée en défensive, l’Entente étant parvenue à imposer sa volonté à l’ennemi. Toutefois, il paraît bien exagéré d’interpréter ce changement de signes, si heureux et considérable soit-il, comme le commencement de la déroute allemande […].”
Paris, le 7 novembre 1918
“La séance de la Chambre d’hier fut l’une des plus émouvantes de la période de guerre. Presque tous les députés étaient à leurs bancs, les tribunes étaient combles. Officiellement, la séance était destinée à célébrer les victoires de l’Italie et de la Serbie, mais en réalité, elle fut consacrée à fêter le retour de l’Alsace-Lorraine à la France.
Par une fortune singulière, le dernier survivant des protestataires du 1er mars 1871 est appelé à rendre à la France les deux provinces qui lui furent arrachées. […] On attendait impatiemment l’apparition de M. Clémenceau ; je suis arrivé au moment où il montait ou plutôt était porté à la tribune.
Devant les ovations enthousiastes dont il était l’objet, cet homme fut ému peut-être pour la première fois de sa vie. Il balbutia : “ces hommages ne s’adressent pas à moi mais à la France, aux poilus qui sont morts pour elle”.
De Gaiffier d’Hestroy Edmond
Paris, le 29 novembre 1918
“Comme il était à prévoir, le grand succès remporté par les armées alliées, les manifestations patriotiques auxquelles on convie le public depuis la conclusion de l’armistice réveille en France l’esprit impérialiste. Je ne veux pas dire qu’on en soit revenu à l’esprit de conquête de la révolution et de l’Empire, mais on cherche des garanties contre le retour des événements de 1914, et on croit les trouver dans de meilleures frontières.
Dans ces dernières semaines, j’ai eu l’occasion de voir les principaux parlementaires français ; à l’exception de M. Clémenceau, ils ont tous exprimé l’avis que si on ne reprenait pas la frontière du Rhin “la guerre n’était pas gagnée”, ” il n’y avait rien de fait” parce que la France ne saurait pas résister, lors de la prochaine guerre, à la pression de l’Allemagne.”
De Gaiffier d’Hestroy Edmond
Paris, le 11 décembre 1918
“Apparemment, le Gouvernement français avait tenu à ce que le corps diplomatique fut témoin de la spontanéité de l’enthousiasme avec lequel l’Alsace-Lorraine se donnait à la France. Aucun de nous n’en avait jamais douté. Toutefois, le spectacle auquel nous avons assisté pendant trois jours fut puissant et poignant au-delà de nos prévisions. […] Ces manifestations étaient simples, spontanées et si touchantes que souvent elles tiraient des larmes. A Metz comme à Strasbourg, on vit des vieillards tomber à genoux sur le passage du cortège.”
De Gaiffier d’Hestroy Edmond
1er mai 1919. La France à l’arrêt
Paris, le 3 mai 1919
“La journée du 1er mai fut marquée par un chômage absolu en province comme à Paris. A cette journée un double but était assigné : Montrer la volonté de la classe ouvrière de faire aboutir ses revendications, et effrayer le bourgeois par l’universalité de la manifestation.
Il serait puéril de contester que cette manifestation fut impressionnante, extrêmement ; elle prouve qu’il est loisible aux Syndicats par un appel soit à la discipline, soit à la peur d’arrêter l’existence d’un grand peuple ou tout au moins d’une grande ville. Car, depuis la plus grande usine jusqu’à la plus petite échoppe depuis le métro jusqu’au fiacre tout chômait. […]
Quel autre parti [le socialisme] serait assez fort pour obliger des centaines de mille ouvriers à perdre une journée de travail lorsque les salaires malgré leur taux élevé, leur permettent à peine de vivre.
Le Gouvernement, vous le savez, avait interdit les manifestations ; la CGT, à une petite majorité, avait décidé de passer outre à cette interdiction. De là, les quelques bagarres qu’on a eu à regretter et dont la gravité a d’ailleurs été exagérée par les journaux.
Naturellement, par tactique, les socialistes et les syndicalistes déclarent que les émeutes furent provoquées par la brutalité de la police, celle-ci obéissant à un mot d’ordre de M. Clémenceau qui a voulu avoir sa journée.”
Le traité de Versailles ratifié
Paris, le 25 juin 1919
“Paris s’est réjoui avec modération de l’acceptation de la paix par l’Allemagne. Malgré une soirée radieuse qui conviait à la promenade, les rues n’étaient pas sillonnées d’une foule bruyante et délirante telle que nous l’avons vue le 11 novembre. Seuls, les soldats américains manifestaient bruyamment leur joie par des coups de sifflet et par le lancement de fusées. Les Français circulaient par groupe et s’attardaient devant les transparents des journaux.
La joie de savoir que la paix victorieuse était garantie, que le sang ne coulerait plus, était atténuée par les déceptions du traité de paix, par les appréhensions d’une nouvelle guerre à soutenir lorsque la France ne tiendrait plus les ponts du Rhin, par la certitude de charges financières écrasantes.”
De Gaiffier d’Hestroy Edmond
Royaume-Uni
Splendide isolement
Jusqu’au début du XXème siècle, la Grande-Bretagne avait comme doctrine diplomatique « le splendide isolement ». Le Secrétaire colonial Chamberlain déclare d’ailleurs : « Nous n’avons pas d’alliés. J’ai peur que nous n’avons pas d’ami… Nous sommes seuls.” Cette doctrine isolationniste, caractérisée par un rejet des alliances permanentes entre Grandes Puissances, prend fin en 1902 avec la Seconde Guerre des Boers (Afrique du Sud). En 1902, le Royaume-Uni signe l’alliance anglo-japonaise, premier pas vers la fin de l’isolation. Il crée ensuite une relation spéciale avec les Etats-Unis avant de conclure des alliances non-formelles avec la France, l’Entente Cordiale, et la Russie, la Convention Anglo-Russe.
Entrée en guerre
Le 4 août 1914, la Grande-Bretagne entre en guerre : d’abord en effet de l’accord passé avec la France mais aussi sous la menace de certains membres du parti Libéral de quitter le gouvernement si le dit accord n’était pas respecté. Toutefois, l’argument présenté à la population a été celui de la protection de la neutralité belge garantie par le traité de 1839.
La première guerre mondiale conduit à la création de la Royal Air Force et de manière plus générale à une réorganisation de l’ensemble de l’armée britannique. Au début de la guerre, les combattants étaient composés uniquement de volontaires. On pouvait la diviser en trois armées distinctes : le Corps expéditionnaire britannique (400 000 soldats), la Kitchener’s Army, du nom du secrétaire d’Etat à la Guerre Herbert Kitchener, et enfin celle héritée de la conscription introduite en 1916.
Cette guerre est l’occasion d’élargir les pouvoirs de l’État. Quatre jours après être entré en guerre, le gouvernement passe la loi sur la défense du Royaume (Defense of the Realm Act, DORA). Cette loi autorise le gouvernement à faire des régulations pendant la durée de la guerre : de la réquisition de bâtiments nécessaires pour l’effort de guerre en passant par l’imposition de la censure, ces décisions sont de véritables mécanismes de contrôle social. Les journaux ont joué un rôle très important dans le maintien du moral de la population à travers de grandes quantités de propagande. Ainsi, alors que la grippe espagnole a été une des causes principales de décès au sein de la population britannique, on en parle que très peu dans la presse. Cette grippe tire d’ailleurs son nom du fait que seule l’Espagne, non impliquée dans la première guerre mondiale, publie librement sur cette épidémie. On estime que cette pandémie, qui sévit de 1918 à 1919, aurait fait 50 millions de mort, soit 2,5% de la population mondiale.
De “Business as usual” à la guerre totale : la crise du parti libéral
La guerre est d’abord envisagée sous la doctrine du business as usual, sous le premier ministre libéral Asquith, selon laquelle il fallait que la population continue à vivre comme avant la guerre afin de garder le moral. Sous le premier ministre libéral David Lloyd George, on observe la guerre évoluer en une guerre totale, nécessitant toutes les ressources étatiques, économiques et politiques autant que sa population. Si Asquith et Lloyd sont tous les deux libéraux, le passage d’un gouvernement à l’autre marque une réelle rupture au sein du parti. QUAND? Ainsi Asquith, encore chef de parti, se retrouve au sein de l’opposition face au gouvernement de coalition entre le parti Libéral, les Conservateurs et les Travaillistes, dont Henderson fut le premier ministre de leur histoire. Le nouveau premier ministre décide d’entreprendre des réformes afin d’avoir un contrôle plus ferme autant sur la politique militaire qu’intérieure. A la fin de la guerre, Lloyd George reconduit un gouvernement de coalition avec les Conservateurs, écrasant les Libéraux qui soutenaient encore Asquith et leur ancien allié Travailliste. Il marque ainsi la fin de la puissance du parti libéral au Royaume-Uni, qui n’a plus été à la tête d’un gouvernement depuis lors.
Mouvements indépendantistes irlandais
Alors qu’elle a été trois fois rejetée, la Home Rule est adoptée au sein du Parliament Act de 1911 et ratifiée par le roi George V en 1914. Cette règle, soutenue par les libéraux, permet à l’Irlande d’avoir une plus grande autonomie tout en restant sous la tutelle du Royaume-Uni. Sa mise en place sera reportée à la fin de la Grande Guerre.
En avril 1916, les membres de l’Irish Republican Brotherhood (IRB), société secrète qui a pour but le soulèvement de l’Irlande contre l’occupation britannique, lancent un mouvement d’insurrection contre les Anglais. L’insurrection de Pâques de 1916 était supposée avoir lieu le jour de la fête sainte, une fois que les armes envoyées par l’Empire allemand soient récupérées. Toutefois, les vingt milles fusils sont interceptés par un patrouilleur britannique et l’insurrection est repoussée au 24 avril 1916, lundi de Pâques. Plus de 800 hommes défilent à Dublin et Patrick Pearse, porte-parole choisi par l’IRB, proclame la République irlandaise. Cependant, on reste loin de l’insurrection générale, une partie de la population les considérant comme des traîtres étant donné que de nombreux Irlandais se battent encore en France. Le lendemain, les Britanniques contre-attaquent avec succès et, après cinq jours de combats, Patrick Pearse signe la reddition sans condition après avoir reconnu que l’insurrection était un échec.
Deux ans plus tard, le gouvernement de Lloyd George décide d’élargir la conscription à l’Irlande. Si cela ne prend jamais concrètement effet, et s’il existait en fait un grand nombre de volontaires irlandais au sein des armées britanniques, cette idée très impopulaire mène à un large mouvement d’opposition marqué par une grève générale au sein des chemins de fers, des usines, des services publiques, des magasins, des journaux… L’effet de cette grève est la hausse de popularité pour le parti séparatiste républicain Sinn Féin, dont de nombreux membres avaient pris part à l’Insurrection de Pâques 1916. La victoire de Sinn Féin aux élections de 1918 mène à la guerre anglo-irlandaise.
Londres le 13 février 1918
“J’ai assisté hier à l’ouverture de la nouvelle session du Parlement et j’ai l’honneur de vous transmettre, sous ce pli, le texte du discours du Trône, prononcé par le Roi à cette occasion. – Il peut se résumer en quelques mots :
“Tant que l’ennemi n’admettra pas les bases indiquées par le Gouvernement Britannique pour une paix honorable, bases qui ont été approuvées dans toute l’étendue de l’Empire, il ne reste que le devoir de continuer la Guerre avec toute l’énergie dont la Nation est capable.”
Baron Moncheur
Londres, le 20 mai 1918
“Depuis quelques temps déjà le Gouvernement était averti des menées des agents de l’Allemagne en Irlande, mais ce n’est que tout récemment qu’il a eu en main des preuves assez complètes de la complicité d’un certain nombre de personnalités irlandaises importantes pour ordonner les arrestations qui viennent d’avoir lieu.
Cette mesure énergique une fois décidée a été exécutée avec tant de promptitude que les conspirateurs ont été pris au dépourvu et que, jusqu’à présent, la tranquillité n’a pas été troublée.
Mais tous les hommes politiques qui jugent la situation avec calme et impartialité déclarent qu’il est plus que temps d’arriver à un règlement sincère et loyal de la question irlandaise. […]
Les irlandais il est vrai ne contribuent pas comme ils le devraient à l’effort immense de la Patrie commune contre les ennemis de l’Empire, mais le Gouvernement, depuis longtemps, n’a cessé de se les aliéner par sa politique vacillante; tantôt violente à l’excès dans ses moyens de répression, tantôt d’une absurde tolérance.”
Baron Moncheur
Londres le 5 aout 1918
“Dans un langage aussi mesuré que précis, Monsieur Winston Churchill combat énergiquement l’opinion émise par le marquis [Lord Lansdown] selon laquelle le moment est propice pour entamer avec l’Allemagne des pourparlers de paix. “Nous devons gagner la guerre, dit-il, mais nous ne l’avons pas encore gagnée. Discuter avec un adversaire encore aussi formidable que les Allemands ne pourrait aboutir à une paix honorable. Ce ne serait pas prudent. La supériorité des forces n’est qu’apparente du côté de l’Allemagne ; elle est réelle du côté des Alliés. La résistance de l’adversaire se brisera un jour si nous tenons bon. L’apparence, ce sont les succès militaires de l’Allemagne, la réalité ce sont les quatre grands événements qui se sont produits durant la quatrième année de guerre : le manque de résultats décisifs de l’offensive contre le front franco-anglais, l’échec de la guerre sous-marine, l’arrivée des renforts américains, la supériorité des alliés dans les airs.”
Baron Moncheur
Londre le 11 novembre 1918
“La War Office a fait savoir la nuit dernière vers minuit que les plénipotentiaires allemands avaient reçu l’ordre de signer l’Armistice.
Nous apprenons ce matin que la signature a eu lieu aujourd’hui vers 5 heures, mais les journaux n’ayant rien annoncé dans leur première édition, le public n’en est pas encore informé. Aucune manifestation de joie générale n’a donc pu encore se produire.”
“Il [Lloyd George] a eu soin de signaler le succès de la politique militaire qu’il a suivie malgré de nombreuses oppositions et qui consistait à attaquer la coalition ennemie par la voie d’Orient aussi bien que par le front Ouest.
Il a terminé par un appel à l’Union patriotique grâce à laquelle, a-t-il dit, l’Empire Britannique tient dans le Concert des Nations une place plus importante qu’il n’en a jamais eue.”
Baron Moncheur
Londre le 7 aout 1918
“ “Tenez-bon”, tel est le mot-vedette du message que le Premier Ministre a envoyé aux peuples de l’Empire britannique à l’occasion du quatrième anniversaire de l’entrée en guerre de l’Angleterre. […] L’accueil fait à ces paroles qui ont été lues dans tous les théâtres et à toutes les réunions publiques montre bien que le chef du gouvernement, en les prononçant, n’a fait qu’exprimer à haute voix le sentiments dont est animé le peuple anglais tout entier. Et le Labour Party n’a pas été le dernier à manifester son approbation.”
Baron Moncheur
Londres, le 10 avril 1919
“Les élections de Décembre se sont faites au cri de “l’Allemagne doit payer !”. En faisant ainsi miroiter aux masses la perspective d’une cascade de millions, avec lesquels on pourrait panser les plaies de la guerre et faire de l’Angleterre “un pays digne d’être habité par les héros revenant du front” pour user de la métaphore de Mr. Lloyd George, le Gouvernement a réussi à rallier à ses étendards les électeurs indécis dont le nombre est si considérable en Angleterre que de leur vote dépend souvent le sort de l’Administration sortante. Cette tactique employée afin d’obtenir un résultat immédiat était peut-être habile au point de vue électoral. Elle devait fatalement miner la position du Premier Ministre le jour où la foule se rendrait compte que la Conférence de Paris aurait également à prendre en considération les revendications financières des autres Alliés, et qu’au surplus, les dommages causés dépasseraient en tout cas de beaucoup les disponibilités des vaincus.
[…] D’une manière générale on peut dire que l’Angleterre a cessé de penser en bloc. Sur toutes les questions primordiales du moment, levée du blocus, reprise des relations commerciales avec l’Allemagne, politique à suivre en Russie, etc, il y a des divergences profondes, des écarts de pensée infranchissables. A cela s’ajoute une méfiance prononcée à l’égard de certains alliés, tels la France et le Président Wilson.”
Baron Moncheur
Empire Allemand
Un retour spectaculaire sur la scène mondiale
En 1914, l’Empire allemand est sur le point de dépasser le Royaume-Uni tant sa production industrielle mondiale fait un bond en avant. Cette montée en puissance ne va pas sans inquiéter ses voisins européens qui voient dans cette prédominance une réelle menace à l’équilibre de l’ordre mondial. Les rivalités économiques se doublent de rivalités politiques. L’Allemagne a su mettre en place un système moderne de grandes entreprises capitalistes performantes. Elle en profite pour se doter d’une armée puissante en passant commande auprès d’industries d’armement.
Les crises marocaines : les coups de Tanger et d’Agadir
En avril 1904, l’Entente cordiale signée entre le Royaume-Uni et la France permet à la France d’acquérir le Maroc sous forme de protectorat et cède à la Grande-Bretagne l’Égypte. Mais un an après, à Tanger, la France et l’Allemagne s’opposent diplomatiquement à propos de la colonisation du Maroc. Alors que la France convoite le sultanat indépendant, le kaiser Guillaume II se place subitement comme le protecteur des intérêts marocains en s’opposant à l’instauration d’un protectorat français sur cet État. L’intervention allemande empêche l’accession française aux terres marocaines. L’année suivante se tient alors la conférence internationale d’Algésiras qui confirme le statut indépendant du Maroc mais, dans les faits, se verra mis sous tutelle internationale. En 1911, le sultan Abdul Aziz est renversé par son frère Moulay Hafiz. Celui-ci demande l’intervention française à sa rescousse. Dès avril, l’armée française occupe toutes les villes impériales. Pour l’Allemagne, c’est une violation de la conférence d’Algésiras. Irrité par l’expansion française au Maroc et par l’alliance franco-britannique à travers l’Entente cordiale, Guillaume II dirige sa canonnière vers Agadir. Ce coup de force provoque un alignement des puissances européennes en faveur de Paris. En novembre 1911, un traité franco-allemand est signé et cède à l’Allemagne des territoires en Afrique équatoriale s’étendant du Congo au Cameroun. En échange, l’Allemagne accepte de laisser la mainmise française sur le royaume chérifien.
De la “realpolitik” à la “weltpolitik”
La politique allemande menée par Bismarck jusqu’en 1890 avait largement été abandonnée par Guillaume II lorsqu’il accède au pouvoir. D’une « realpolitik », attitude pacifique consistant à éviter la course aux armements et à maintenir la paix entre les empires, le kaiser mise sur une « weltpolitik », doctrine diplomatique consistant à se trouver une “place au soleil” (Platz an der Sonne) en développant une stratégie expansionniste et colonialiste. Les concurrences économiques, coloniales et idéologiques entre les puissances européennes s’exacerbent. Les relations franco-allemandes sont plusieurs fois sur le point de dégénérer et le système d’alliances secrètes bat son plein. L’entrée en guerre de l’Allemagne s’inscrit dans cette politique mondiale.
Le blocus
Mais la reconversion de l’économie allemande vers une économie de guerre n’est pas allée sans désorganisation. Si l’Allemagne est une puissance industrielle mondiale, elle n’est néanmoins pas autarcique ou autosuffisante sur le plan alimentaire. Elle connaît la pénurie, double effet de la rupture des circuits économiques traditionnels mais aussi du blocus mené par le Royaume-Uni et la France dans le but d’empêcher tout ravitaillement maritime de l’Allemagne et de ses alliés. La famine est la première cause de décès dans les villes. 1915 est l’année du blocus inconditionnel et total décrété par les forces alliées. Deux systèmes sont mis en place : l’économie de prédation – tout est réquisitionné, pillé ou volé – et le rationnement. Dans le premier cas, le système recycle et récupère pour produire tant bien que mal des produits quotidiens. C’est dans ce contexte que sont inventés les “ersatz”, produits de substitution. Dans le deuxième cas, le rationnement n’empêche pas l’apparition du marché noir et de toute une économie parallèle. Les stocks sont mal répartis et mal distribués. L’année 1917 est l’apogée de l’épreuve de la faim, comme l’atteste « l’hiver des navets ». Cet épisode conduit en avril 1917 à la formation de l’USPD – parti social-démocrate indépendant – qui recrute massivement chez les ouvriers parallèlement à l’organisation spartakiste fondée en 1915 par Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.
Des grèves de 1917 à la révolution allemande
Les mouvements ouvriers militent pour un arrêt définitif de la guerre. Par rapport à l’année 1916, on mesure un doublement du nombre de grèves en 1917. C’est en janvier 1918 que la plus grande grève a lieu et que la révolution spartakiste éclate jusqu’en novembre de la même année. Elle se tient à Berlin le 28 janvier 1918 mais s’étend à de nombreuses villes. 180 000 ouvriers insurgés plaident pour la conclusion d’une paix sans annexion, une levée du blocus, la libération des prisonniers politiques et la démocratisation des institutions. À la suite des grèves de janvier et par peur de bifurquer sur une guerre civile, un gouvernement de coalition se constitue, fondé sur un “compromis de classe”. En effet, le système allemand, dont l’expérience d’unité est assez récente, a la complexité de faire fonctionner ensemble autocratie, aristocratie privilégiée, bourgeoisie industrielle et sociaux-démocrates comme premier parti du pays dès 1912. Les privilégiés tentent de mettre en place une série de réformes pour prévenir la “révolution d’en bas” en appliquant une “révolution par en haut”.
En septembre, un régime parlementaire est mis en place et à la fin octobre la constitution est modifiée. La République allemande est proclamée le 9 novembre 1918 et l’Empereur abdique. Mais la guerre menée “pour l’honneur des élites” est dénoncée. Les mutineries reprennent ainsi que les grèves. Les partis de la gauche allemande se divisent. Le reste du parti social-démocrate (SPD), dirigé par Friedrich Ebert, souhaite évincer les révolutionnaires communistes de l’administration du pays. Afin de garantir toute l’intégrité de la République, Friedrich Ebert n’hésite pas à réaliser des alliances avec les vieilles élites du pays qui jugeaient l’insurrection comme responsable de la défaite allemande, la révolution comme “Dolchstosslegende”, un coup de poignard dans le dos. À la veille de la nouvelle année, le Parti Communiste allemand (KPD) est fondé. Le 8 janvier, les Spartakistes appellent à la révolution armée à Berlin mais les mouvements seront réprimés dans la plus grande violence. C’est au moment de ces combats que 165 personnes trouvent la mort dont Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, chefs du nouveau parti communiste allemand, assassinés par les troupes loyales à la République.
Le diktat
Si l’armistice est signé le 11 novembre 1918, les traités de paix ne sont conclus eux qu’à la fin du mois de juin 1919 à Versailles. Ce traité, entièrement conçu et dicté par les vainqueurs, énonce que l’Allemagne est l’entière responsable de la guerre. Elle perd un septième de ses territoires et elle se voit l’obligation de payer des réparations de l’ordre de 132 milliards de marks (environ 31,5 milliards de dollars), un montant qui empêche radicalement la relance de l’économie allemande après guerre. Les paiements ont été échelonnés. Le dernier a eu lieu en 2010. La République de Weimar signe sous contrainte le traité. La question de la responsabilité de l’État allemand (Kriegsschuldfrage) dans la première guerre mondiale est un débat public qui a mobilisé énormément d’intellectuels sous la République de Weimar et qui a aussi été massivement récusée par les nationalistes allemands. Elle devient même un argument fondateur de la campagne des nazis dans les années 1930.
Vers un durcissement politique
Les années d’après-guerre sont marquées par la difficulté d’une relance économique bouleversée par l’hyperinflation. La politique de Ebert est dénoncée par les socialistes d’extrême gauche comme un traître de l’idéal du mouvement ouvrier puisqu’il l’a compromis en l’alliant aux forces de l’ancien régime et en le réprimant. L’extrême gauche n’est pas le seul parti qui se montre virulent envers le régime. Des courants conservateurs tentent un Putsch pour renverser la République en mars 1920, le “Putsch de Kapp”. Il est mis en échec par les partis de gauche et d’extrême gauche qui ont appelé à la grève générale. Ce coup d’état fait partie d’une longue de série de troubles qui agitent la République de Weimar jusqu’en 1924, moment où l’inflation disparaît mais où le parti nazi, bien qu’interdit par le gouvernement du Reich, parvient à asseoir des députés à l’Assemblée du Reich, le Reichstag.
Londres, 16 septembre 1918
“Mr. Von Payer [vice-chancelier allemand] a fait connaître les conditions de l’Allemagne : pas d’indemnité pour la Belgique, l’Alsace-Lorraine reste allemande, par contre restitution à l’Allemagne de ses colonies; mains libres laissées à la Prusse dans l’Est. Les Puissance centrales savent très bien ce que nous pensons de ces prétentions. Par conséquent à quoi bon les conversations à ce sujet ?”
Baron Moncheur
Paris, le 13 août 1918
“Lorsqu’on lit les communiqués de l’État-Major allemand, on ne retrouve rien du découragement ni de la dépression que certains journaux décrivent comme caractérisant le moral allemand depuis ces 3 dernières semaines. […]
A l’intérieur du pays, le peuple qui souffre de la faim, de la gêne extrême que lui cause la prolongation de la guerre, s’inquiète et sa résistance fléchit, mais l’armée allemande a conservé sa foi dans la victoire et la certitude de son invincibilité. […]
De son côté, le haut commandement allemand mettra probablement tout en oeuvre pour ne pas rester sur un échec, et pour acquérir quelques avantages avant l’automne, en vue de conserver le prestige du parti pangermaniste.”
De Gaiffier d’Hestroy Edmond
Paris, le 4 octobre 1918
« Ballotté entre l’État-Major et les partis de gauche Hertling fut impuissant à tracer un programme de politique intérieure ou extérieure. […]
Sa chute coïncide avec le rescrit de l’Empereur préconisant […] la parlementarisation du Reichstag. Si l’on se rappelle que la crainte du parlementarisme fut une des causes qui incita l’Empereur à déclencher la guerre, on se rendra facilement compte de la pression exercée sur lui par les événements. C’est à son corps défendant que le Kaiser fait des concessions aux partis de gauche […]. »
Paris, le 13 novembre 1918
“Pendant longtemps je me suis refusé à croire à l’éventualité d’une révolution en Allemagne et à l’instauration du régime républicain. Mais au mois de septembre dernier, lorsque j’ai vu les changements survenus dans la constitution, l’affaiblissement du prestige impérial, le discrédit du Kronprinz, j’ai pensé que le Gouvernement ne saurait pas s’arrêter dans la voie des concessions. La défaite a accéléré le mouvement. […]
Le voile n’est pas encore levé sur le régime à instaurer en Allemagne. Sera-ce une régence pour ménager l’avènement d’un monarque ou une République ?
D’après les éléments que nous possédons il semble que les probabilités sont en faveur d’une république fédérale dans laquelle la Prusse sera dépossédée de l’hégémonie et où tous les états confédérés, petits ou grands jouiront de l’égalité de droits. La nouvelle constitution allemande sera calquée sur celle de la Suisse ou des Etats-Unis, où tous les cantons ou tous les états jouissent de droits égaux.”
De Gaiffier d’Hestroy Edm
Paris, le 8 avril 1919
“Au milieu des renseignements contradictoires qui nous arrivent sur la situation morale de l’Allemagne, il est difficile de se faire une opinion. D’après certains journaux l’esprit de discipline allemand constituerait une barrière solide contre le bolchévisme; tout ce qu’on nous raconte en sens contraire n’est que du bluff, qu’une menace en vue d’obtenir des conditions plus douces des alliés. D’autres, au contraire montrent la situation sous les couleurs les plus sombres […] l’Allemagne pactiserait avec la Russie et s’unirait bientôt avec celle-ci pour faire la grève, arrêter la vie sociale. […]
La classe ouvrière, disent-ils, est déprimée, anémiée à ce point par plusieurs années de privations qu’elle est facilement accessible aux idées subversives. Elle se réfugie dans le bolchévisme comme dans un port de salut avec l’espoir chimérique que le partage des biens la sauvera de son intolérable misère. Cette crise aigüe aurait été évitée si dès le lendemain de l’armistice, on avait ravitaillé l’Allemagne, si on lui avait fourni de quoi travailler et se nourrir. Malheureusement, pour le faire on a attendu 3 mois ; ce fut en mars seulement qu’on consentit à envoyer quelques navires chargés de vivres à Hambourg.
Les classes moyennes hésitent encore. Elles seraient disposées à résister au mouvement populaire, à se remettre au travail si elles savaient qu’elles ne seront pas irrémédiablement ruinées par les conditions de la paix.”
De Gaiffier d’Hestroy Edmond