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RWANDA

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    génocide des Tutsi
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    Justice et reconstruction
ÉDITO
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ÉDITO

Que s’est-il passé au Rwanda au printemps 1994 ? Comment expliquer l’impensable, comprendre les meurtres, la haine, la folie ? Comment saisir l’ampleur du génocide ? Comment comprendre l’horreur ? Et quelle place la Belgique a-t-elle occupée dans cette tragédie ? Ces questions, qui nourrissent des centaines de rapports, décisions de justice et recherches depuis trois décennies, demeurent cruciales. Même après trente ans, il reste difficile de trouver les mots justes pour décrire une telle catastrophe. Ces interrogations nous plongent néanmoins au cœur de l’une des tragédies les plus sombres du XXe siècle.

Photo : @amalthya disponible ici : https://www.flickr.com/photos/amalthya/90623832

Chapitre 1

Les origines

L’histoire
du
Rwanda
avant
la
colonisation
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L’histoire
du
Rwanda
avant
la
colonisation

Avant l’arrivée des colonisateurs européens, la société rwandaise est organisée selon une structure sociale complexe mais relativement harmonieuse. Trois groupes principaux coexistent : les Hutu, les Tutsi et les Twa. Ces groupes partagent une langue commune, le kinyarwanda, et des pratiques culturelles et religieuses similaires.  

  • Les Hutu, majoritaires (environ 85 % de la population), sont principalement agriculteurs, cultivant des denrées essentielles comme le sorgho, les bananes et les patates douces.  
  • Les Tutsi, représentant environ 14 % de la population, sont traditionnellement associés à l’élevage de bétail, considéré comme un symbole de richesse et de statut social.  
  • Les Twa, une petite minorité (environ 1 % de la population) appartenant au peuple pygmée d’Afrique, sont historiquement chasseurs-cueilleurs, souvent marginalisés.  

La société rwandaise est structurée en une vingtaine de clans, comprenant des Hutu, des Tutsi et des Twa. Le système politique repose sur une monarchie dirigée par un roi, le mwami, appuyé par des chefs locaux. Les différences entre ces groupes sont alors principalement socio-économiques, presque professionnelles, mais pas ethniques. La mobilité sociale est possible, grâce aux mariages intergroupes par exemple. Ces distinctions sont donc davantage perçues comme des différences de classe sociale que comme des identités figées.  

Image : Peuple Twa. Photo datant de 1904. Par Jessie Tarbox Beals/Missouri History Museum. Licence : Domaine public.

Rwanda, petit pays des mille collines

Le Rwanda, le « pays des mille collines », est un petit État d’Afrique centrale, d’une superficie de 26 338 km². Légèrement plus petit que la Belgique –30 528 km² –, le Rwanda se distingue par une densité de population exceptionnellement élevée. 

Sur le plan géographique, le territoire rwandais de l’époque correspond à peu près à celui du Rwanda actuel. Situé dans la région des Grands Lacs, il est surtout connu pour son relief et son climat tempéré. Ses frontières ont légèrement évolué avec le temps, mais la structure générale du pays est restée la même.

Une question à Thierry Piel, maître de conférence à l’Université de Nantes

À quoi ressemble le Rwanda avant la colonisation ?

euradio · À quoi ressemble le Rwanda avant la colonisation ?

Impact
de
la
colonisation
sur
le
pays
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Impact
de
la
colonisation
sur
le
pays

À la fin du XIXe siècle, le Rwanda passe sous domination coloniale. Les Allemands sont les premiers à établir leur contrôle en 1897, tout en maintenant une autonomie relative pour le système monarchique tutsi en place.

 Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license.

Après la Première Guerre mondiale, c’est au tour de la Belgique d’hériter du contrôle du Rwanda en 1919, en vertu d’un mandat de la Société des Nations. Les autorités coloniales belges implantent alors une vision raciale de la société, influencée par des théories pseudo-scientifiques et par le mythe hamitique, selon lequel les Tutsi seraient des descendants d’une race venue d’Éthiopie, les distinguant ainsi des Hutu et des Twa. Cette classification devient la base de politiques discriminatoires.  En 1931, un système de cartes d’identité ethnique est introduit, gravant dans le marbre des distinctions qui, auparavant, étaient beaucoup plus souples. Ces cartes jouent un rôle crucial dans la division de la société rwandaise et, plus tard, lors du génocide.  (A noter qu’il faudra attendre 2003 pour que ce système des cartes d’identité soit abandonné !) 

 Un Tutsi, c’est quelqu’un qui a dix vaches. Un Hutu devient tutsi, s’il passe de neuf à dix vaches. 

Marie Darrieussecq, Libération

Les Belges favorisent alors les Tutsi, considérés comme plus « nobles » en raison de traits physiques perçus comme proches des Européens (taille, finesse des traits). Les Tutsi bénéficient ainsi à ce moment d’un accès privilégié à l’éducation, aux postes administratifs et aux ressources économiques, ce qui ne fait qu’exacerber les inégalités. Les Hutu, exclus de ces avantages, nourrissent un sentiment de frustration et d’injustice de plus en plus prégnant. 

C’est aussi à ce moment là que l’économie rwandaise, basée historiquement sur l’agriculture et l’élevage, est réorientée vers la production de cultures d’exportation. Les Belges imposent le développement du café comme culture obligatoire, au détriment des cultures vivrières. Cette transformation entraîne une dépendance de plus en plus forte à l’économie coloniale et aggrave les tensions sociales. Le christianisme joue également un rôle central dans l’administration coloniale faisant du Rwanda un « État quasi théocratique ». Les missions chrétiennes se développent et participent à l’occidentalisation de la société rwandaise. La monarchie tutsi se convertit au catholicisme, et l’Église devient ainsi un acteur à part entière dans l’éducation et l’organisation sociale du pays.

Quelques questions à Thierry Piel et Colette Braeckman

D’où vient la division entre Hutu et Tutsi ?

euradio · D’où vient la division entre Hutus et Tutsis ?

Hutu et Tutsi : une invention belge ?

euradio · Hutus et Tutsis : une invention belge ?
Le Ruanda-Urundi : Une colonie dans l’ombre du Congo belge ?

Contrairement au Congo, territoire stratégique pour la Belgique, le Ruanda-Urundi incarne une périphérie coloniale aux enjeux économiques et administratifs perçus comme moins prioritaires. Officiellement sous mandat de la Société des Nations en 1923, puis territoire de tutelle de l’ONU à partir de 1946, le Ruanda-Urundi est administrativement rattaché au Congo belge en 1925. Bien que l’administration du territoire soit similaire à celle du Congo, avec un gouverneur, des résidents et des administrateurs territoriaux, elle est souvent considérée comme moins intensive. Contrairement au Congo, riche en minerais et en ressources stratégiques, le Rwanda ne représente pas un enjeu économique majeur pour la Belgique, même si certaines cultures d’exportation comme le café y sont développées. L’administration coloniale belge s’appuie largement sur les hiérarchies locales existantes, notamment l’aristocratie tutsi, pour administrer le territoire. Cette stratégie de gouvernance indirecte permet d’optimiser l’administration tout en minimisant les coûts directs. Malgré son statut de mandat, le régime appliqué au Ruanda-Urundi reste finalement peu différent d’un système de colonisation classique.

Image : ©Adygrafix250

Tensions
post-indépendance
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Tensions
post-indépendance

Le mouvement nationaliste rwandais, qui mènera à l’indépendance, prend forme dès 1956-1957, malgré les réticences des autorités coloniales belges. Celles-ci, en dépit des obligations onusiennes imposées à la puissance mandataire, ont longtemps retardé toute transition politique significative.

En novembre 1959, une révolution éclate au Rwanda, menée principalement par les Hutu, qui revendiquent une redistribution du pouvoir. Ce soulèvement, connu sous le nom de « Révolution sociale hutu » ou Muyaga (« vent de destruction » en kinyarwanda), entraîne le renversement de la monarchie tutsi. Les violences ciblent surtout les chefs et sous-chefs tutsi qui servent dans l’administration coloniale. 

La transition vers l’indépendance se fait ensuite par étapes. En septembre 1961, un référendum marque la fin de la monarchie, avec 80 % des votants en faveur de l’instauration d’une république. Du 28 janvier au 26 octobre 1961, Dominique Mbonyumutwa assure la présidence du gouvernement provisoire avant que Grégoire Kayibanda, fondateur du PARMEHUTU (Parti du Mouvement de l’Émancipation des Hutu), ne soit élu premier président de la République du Rwanda. Le pays accède officiellement à l’indépendance le 1er juillet 1962.

Le rôle des autorités coloniales belges, et en particulier de Guy Logiest, a été déterminant dans ce processus. Son action a favorisé l’émergence d’un régime républicain dominé par le PARMEHUTU, au détriment de l’ancienne monarchie tutsie.

Rencontre officielle au Bureau ovale le 19 septembre 1962 entre John F. Kennedy (quatrième) et le président rwandais Grégoire Kayibanda (deuxième), peu après l’indépendance du Rwanda.

Cette période est par ailleurs marquée par des violences massives contre les Tutsi. Soutenus par l’administration coloniale belge, des massacres ont lieu dans tout le pays et plus de 15 000 Tutsi sont tués. On estime qu’environ 300 000 Tutsi sont forcés de fuir vers les pays voisins entre 1959 et 1963. Les survivants restés au Rwanda sont marginalisés dans les sphères politique, économique et sociale.

En décembre 1963, une offensive des exilés Tutsi provoque des représailles meurtrières faisant environ 10 000 morts parmi les Tutsi. D’autres vagues de violence se produisent dans les années qui suivent, souvent liées aux tentatives de retour des exilés.

D’autres massacres ont suivi en 1973. Des années 60 aux années 70, des centaines de milliers de Tutsi ont encore dû fuir le pays, formant une importante diaspora dans les pays voisins, notamment en Ouganda, au Burundi, en Tanzanie et en République démocratique du Congo. Cette diaspora, souvent marginalisée et confrontée à des conditions de vie précaires, a joué un rôle clé dans la genèse du Front Patriotique Rwandais. Parmi ces exilés, Paul Kagame, futur chef du FPR, grandit en Ouganda où il s’engage dans l’armée de Yoweri Museveni. Son parcours militaire et son engagement en faveur du retour des exilés tutsis aboutissent à l’offensive du FPR en 1990, marquant le début de la guerre civile rwandaise. 

Quelques questions à Thierry Piel et Colette Braeckman

Quelles divisions apparaissent après l’indépendance ?

euradio · Quelles divisions apparaissent après l’indépendance ?

À quoi ressemble le Rwanda à la fin des années 80 ?

euradio · À quoi ressemble le Rwanda à la fin des années 80 ?
Timbre commémoratif de 1962 célébrant l’indépendance du Rwanda. Domaine public.

Image : Public Domain, John F. Kennedy Library and Museum

Chapitre 2

Les prémices du génocide des Tutsi

La
guerre
civile
(1990-1994)
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La
guerre
civile
(1990-1994)

Loin d’être un événement spontané, le génocide perpetré contre les Tutsi au Rwanda s’inscrit dans un contexte historique particulier, marqué par des tensions accumulées sur plusieurs décennies, une guerre civile dévastatrice, des accords de paix fragiles et une propagande haineuse exacerbée. Ce drame ne résulte pas d’une décision soudaine d’une population entière de prendre les armes, mais d’un long processus aux racines profondes.  

La guerre civile au Rwanda éclate le 1er octobre 1990 et oppose deux groupes principaux : le gouvernement rwandais dirigé par le président Juvénal Habyarimana – bien que majoritairement hutu, son administration compte des Tutsi à des postes de responsabilité, notamment en province – et le FPR, composé principalement de Tutsi exilés, mais aussi de Hutu opposés au régime.

Ce conflit s’inscrit dans un contexte de crise économique profonde. À partir des années 1980, le Rwanda subit un renversement conjoncturel de son économie, marqué par la chute des prix du café, principal produit d’exportation, et la mise en place de politiques d’ajustement structurel imposées par les institutions financières internationales. Ces difficultés économiques exacerbent les tensions sociales et nourrissent un ressentiment qui sera instrumentalisé politiquement.

Paradoxalement, le processus de démocratisation amorcé sous la pression internationale au début des années 1990 contribue à la radicalisation de l’idéologie raciste hutu. Alors que sous la présidence d’Habyarimana, cette idéologie s’était quelque peu atténuée en raison de la consolidation du pouvoir et d’une relative stabilité politique, la guerre civile et l’ouverture démocratique favorisent au contraire la montée en puissance des discours extrémistes. La libéralisation politique permet notamment l’émergence de factions radicales prônant une exclusion totale des Tutsi de la vie politique et économique du pays, ce qui alimentera la spirale de violence menant au génocide de 1994.

Pourquoi la guerre civile éclate ?

Depuis l’indépendance en 1962, le pays est dominé par les Hutu, devenus majoritaires après la fin du système colonial belge. Le Rwanda de l’après-indépendance est marqué par une série de violences systématiques contre les Tutsi, les poussant à l’exil dans les pays voisins, notamment l’Ouganda. Ces exilés, marginalisés et privés de leur droit de retour, forment progressivement le FPR, un groupe armé déterminé à renverser le régime de Juvénal Habyarimana et à restaurer l’égalité pour les Tutsi.

Qui sont les groupes impliqués ?

  • Le gouvernement rwandais est dirigé par le président Juvénal Habyarimana, un Hutu. Le gouvernement s’appuie sur l’armée rwandaise (les Forces armées rwandaises, FAR) et, à partir de 1992, sur des milices proches du pouvoir, comme les Interahamwe. Le FPR quant à lui est composé principalement de Tutsi exilés, souvent nés au Rwanda mais contraints à la fuite lors des révoltes des années 1960 et 1970. Le FPR cherche à renverser le gouvernement de Habyarimana et à permettre aux Tutsi exilés de revenir au Rwanda. Il est dirigé par Paul Kagame, un Tutsi qui deviendra plus tard le président du Rwanda.

Le gouvernement rwandais, fermement soutenu par l’armée et la France, réagit en luttant contre les rebelles. Cette guerre civile entraîne des massacres et des exactions, avec de nombreuses violations des droits humains.

Et pour aller plus loin …

Quelles sont les origines de la guerre civile rwandaise ?

euradio · Quelles sont les origines de la guerre civile rwandaise ?

Comment se déroule la guerre civile ?

euradio · Comment se déroule la guerre civile ?

Image : L’armée Interahamwe, issue du groupe Hutu. Pendant le génocide au Rwanda, elle faisait partie des organisations responsables de nombreux massacres. Interahamwe Par Scott Chacon. Licence : CC BY 2.0.

Les
accords
d’Arusha,
une
tentative
de
paix
?
(1993)
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Les
accords
d’Arusha,
une
tentative
de
paix
?
(1993)

Signés le 4 août 1993 en Tanzanie, les accords d’Arusha constituent une étape majeure dans l’histoire du Rwanda. Destinés à mettre fin à la guerre civile opposant le gouvernement rwandais et le Front Patriotique Rwandais, ils échouent à instaurer une paix durable et, involontairement, précèdent le génocide de 1994.

Quels étaient leurs objectifs ?

  • Cessez-le-feu : Un arrêt immédiat des combats entre les forces gouvernementales et le FPR.
  • Gouvernement de transition : La mise en place d’un gouvernement intégrant le FPR et d’autres partis pour instaurer une démocratie pluraliste.
  • Partage du pouvoir : Un équilibre entre le FPR, le gouvernement en place et l’opposition pour éviter une domination exclusive.
  • Fusion des forces armées : L’intégration des forces du gouvernement et du FPR dans une armée nationale unifiée afin d’assurer une stabilité à long terme.
  • Rapatriement des réfugiés : Le retour des réfugiés rwandais, majoritairement tutsi, et la réinstallation des déplacés du conflit.

Bien que ces accords visent à instaurer la paix, ils sont rejetés par les extrémistes hutu, notamment les proches du président Juvénal Habyarimana. Ces derniers perçoivent le retour des réfugiés tutsi et l’intégration du FPR dans le gouvernement comme une menace pour leur pouvoir et redoutent une diminution de l’autorité présidentielle.

Ainsi, loin d’apaiser les tensions, les accords d’Arusha exacerbent la radicalisation des extrémistes hutu, qui accélèrent leur préparation au génocide. Un bataillon du FPR est stationné à Kigali en guise de garantie sécuritaire, tandis qu’une Assemblée nationale de transition est instaurée le 16 décembre 1993.

Parallèlement, les forces étrangères se retirent progressivement du Rwanda. Avant le génocide, la présence française se limite principalement à des conseillers militaires auprès des Forces Armées Rwandaises (FAR), mais c’est surtout la Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda (MINUAR) qui est chargée de superviser la mise en œuvre des accords. Son mandat limité l’empêche d’intervenir efficacement face à la montée des violences.

L’influence des puissances étrangères

Les accords d’Arusha sont négociés sous l’influence des puissances internationales. La France, alliée du gouvernement rwandais, exerce une pression sur le président Juvénal Habyarimana pour accepter des concessions, bien qu’elle reste méfiante à l’égard du Front patriotique rwandais. De leur côté, les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres nations anglophones adoptent une position plus favorable au FPR, perçu comme un mouvement réformateur face au régime en place.

Dès le début du conflit en octobre 1990, la France joue un rôle déterminant en soutenant militairement le régime de Juvénal Habyarimana. Craignant une déstabilisation de la région et la montée en puissance d’un mouvement armé perçu comme soutenu par l’Ouganda et anglo-saxon dans un contexte de rivalités géopolitiques, Paris engage l’Opération Noroît. Officiellement présentée comme une mission de protection des ressortissants français, cette intervention permet en réalité d’apporter un appui logistique et militaire aux FAR, retardant ainsi une victoire rapide du FPR. Sans ce soutien, les FAR, affaiblies et mal équipées, auraient probablement été balayées beaucoup plus tôt par les forces rebelles.

Le choix de la France de soutenir Habyarimana s’explique par plusieurs facteurs : une logique de continuité dans la politique de la Françafrique, la volonté de préserver un régime francophone face à une rébellion issue d’un environnement anglophone, et la proximité personnelle entre certains dirigeants français et le pouvoir rwandais. Ce soutien militaire et diplomatique contribue à rigidifier les positions du gouvernement rwandais et complique la mise en œuvre des accords d’Arusha, qui apparaissent pour certains radicaux hutu comme une menace existentielle.

Une question à Colette Braeckman, ex grand reporter au service international du Soir

Le président et les accords d’Arusha : quelle histoire retenir ?

euradio · Le président et les accords d’Arusha : quelle histoire retenir ?

Image : Wikimedia Commons – https://www.securityoutlines.cz/wp-content/uploads/cHJpdmF0ZS9sci9pbWFnZXMvd2Vic2l0ZS8yMDIyLTA0L2ZsODA0OTk3MTUxNi1pbWFnZS1rcHFvaDZuby5qcGc.jpg-1.webp

L’assassinat
de
Juvénal
Habyarimana,
le
déclencheur
?
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L’assassinat
de
Juvénal
Habyarimana,
le
déclencheur
?

L’assassinat du président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, constitue pour beaucoup l’événement déclencheur immédiat du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda. Son avion est abattu alors qu’il revient de négociations de paix en Tanzanie. Bien que les auteurs de l’attentat n’ont jamais été identifiés de manière définitive, cet assassinat sert à l’époque “de signal” pour lancer une série d’attaques violentes et organisées.  

Dans les heures qui suivent l’attentat, une série d’événements s’enchaîne. Le 6 avril au soir, des barrages routiers sont installés dans tout le pays, tandis que la Garde présidentielle élimine les opposants politiques, ciblant spécifiquement les Tutsi et les Hutu modérés, supprimant ainsi toute résistance possible au génocide. Le 7 avril au matin, le massacre systématique des Tutsi débute à Kigali. La Première ministre hutu modérée, Agathe Uwilingiyimana, est assassinée, et dix Casques bleus belges de la MINUAR, chargés de sa protection, sont capturés et exécutés. Cet acte contribue au retrait de la Belgique et au désengagement des forces de l’ONU.

Archives Sonuma « Kigali, 10 casques bleus belges massacrés » – 8 avril 1994

L’assassinat de Juvénal Habyarimana est largement considéré comme le déclencheur d’un génocide minutieusement préparé. Dès la fin de l’année 1993, les bases du massacre sont posées. D’importants financements sont alloués aux partis politiques extrémistes ainsi qu’aux médias diffusant des discours de haine. Parallèlement, des milices, notamment les Interahamwe, sont formées et entraînées pour exécuter le plan génocidaire. L’achat d’armes à grande échelle s’intensifie, avec la distribution massive de machettes, de grenades et de fusils aux miliciens et aux civils. L’appareil administratif est également mobilisé, impliquant aussi bien les autorités locales que les institutions nationales, afin d’organiser et de coordonner les massacres.

Quelques questions pour en apprendre un peu plus …

Y avait-il des signes que l’on a ignoré ?

euradio · Y avait-il des signes que l’on a ignorés ?

Le crash de l’avion et les casques bleus belges

euradio · Le crash de l’avion et les casques bleus belges

Qui est à l’origine de l’attentat ?

euradio · Qui est à l’origine de l’attentat ?
Qui est Théoneste Bagosora – Le « cerveau du génocide » ?

Le colonel Théoneste Bagosora est souvent présenté comme l’un des principaux architectes du génocide, bien qu’il ne soit pas l’unique instigateur. Membre éminent de l’Akazu, le clan extrémiste entourant le président Habyarimana, Bagosora a joué un rôle central dans la mise en œuvre du plan d’élimination des Tutsi, facilitant la formation d’un gouvernement favorable au génocide.

Farouchement opposé aux accords d’Arusha de 1993, il aurait déclaré que la solution à la guerre était de « faire sombrer le pays dans l’apocalypse pour éliminer tous les Tutsi« . Après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana le 6 avril 1994, il a pris le contrôle effectif du gouvernement rwandais.

Dès janvier 1994, le commandant de la MINUAR, le lieutenant-général Roméo Dallaire, alerte l’ONU de l’existence de ces plans et des préparatifs, mais ses avertissements sont ignorés. Condamné à la prison à vie en 2008 par le Tribunal pénal international pour le Rwanda pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, Bagosora est décédé le 25 septembre 2021 dans une prison au Mali, à l’âge de 80 ans.

Image : US National Archives https://catalog.archives.gov/

La
propagande
:
le
rôle
des
médias
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La
propagande
:
le
rôle
des
médias

Les médias, en particulier la radio, sont des outils essentiels pour diffuser des messages de haine, inciter à la violence et mobiliser la population contre les Tutsi. La Radio Télévision Libre des Mille Collines, RTLM, également connue sous le nom de Radio de la Haine, joue un rôle important dans cette propagande génocidaire. Créée en juillet 1993, quelques semaines seulement avant la signature des accords d’Arusha, et contrôlée par des actionnaires hutu influents (politiciens, officiers, commerçants), RTLM devient rapidement un vecteur majeur de manipulation et de mobilisation.

Quelques mois avant le génocide, la RTLM qualifiait déjà les Tutsi d’inyenzi (« cafards » en kinyarwanda), justifiant leur extermination en les réduisant à des nuisibles en les déshumanisant. Pendant les massacres, la radio diffuse même des informations sur les cachettes des Tutsi et des listes de noms de personnes à éliminer.

Malgré son rôle évident dans la propagation de la haine, aucune action internationale n’a été entreprise pour bloquer les deux émetteurs de la station.

Radio Télévision Libre des Mille Collines a émis depuis ce bureau pendant le génocide au Rwanda. Source de la photo : Kigaliwire, « 17 years ago today in Rwanda, » publié le 6 avril 2011. Disponible sur kigaliwire.com.

Une question à Thierry Piel

Radio Milles Collines : quelle place à la propagande avant le génocide ?

euradio · Radio Mille Collines : quel rôle a joué la propagande avant le génocide ?
Le procès de Ferdinand Nahimana

En 2003, le Tribunal pénal international pour le Rwanda condamne Ferdinand Nahimana, l’un des fondateurs de la RTLM, pour génocide et incitation au génocide. Le juge président lui déclare :

Sans arme à feu, machette ou toute autre arme physique, vous avez causé la mort de milliers de civils innocents.

Bien que la portée géographique de la radio était limitée et le taux de possession de radios faible, son impact reste significatif.

Chapitre 3

Le génocide

800
000
morts
en
100
jours
+
800
000
morts
en
100
jours

Le génocide perprété contre les Tutsi au Rwanda est l’un des événements les plus tragiques du XXe siècle. En seulement 100 jours, environ 800 000 personnes, principalement des Tutsi, sont tuées dans un massacre systématique orchestré par des extrémistes hutu. Ces derniers sont soutenus par l’armée, des milices comme les Interahamwe et un appareil administratif mobilisé pour l’extermination. 

Archives Sonuma « Rwanda, un génocide planifié » – 3 décembre 1994

Dès les premières heures suivant l’assassinat du président Habyarimana, les violences sont méthodiquement organisées. Les figures politiques et intellectuelles modérées, qu’elles soient tutsi ou hutu, sont immédiatement ciblées et éliminées. Parmi elles, la première ministre Agathe Uwilingiyimana est assassinée le 7 avril, en même temps que dix casques bleus belges qui tentent de la protéger. Les milices Interahamwe installent des barrages routiers dans tout le pays pour identifier les Tutsi grâce aux cartes d’identité ethniques introduites sous la colonisation belge en 1931. Les individus porteurs de la mention « tutsi » sont exécutés sur place.  

Les massacres se déroulent dans les maisons, les rues et les lieux de refuge tels que les églises, les écoles ou les stades, qui deviennent des scènes de tueries massives. Les victimes sont souvent exécutées à l’arme blanche, comme des machettes ou des gourdins cloutés, afin d’économiser les munitions. Les fusils sont peu utilisés car considérés comme un moyen « trop rapide et indolore » de tuer.  Les Tutsi sont parfois forcés de creuser de grandes fosses avant d’y être enterrés vivants.

L’objectif des génocidaires est de totalement éliminer la population tutsi. Ils traquent les survivants partout : dans les champs, les forêts, les marais et sur les collines.

Le génocide prend fin en juillet 1994 avec la victoire militaire du Front Patriotique Rwandais, dirigé par Paul Kagame.

Qui est Paul Kagamé ?

Né le 23 octobre 1957 au Rwanda, Paul Kagame est devenu dans les années 90 une figure centrale de l’histoire contemporaine du Rwanda, notamment en tant que commandant en chef du Front Patriotique Rwandais. Après avoir pris le pouvoir avec son mouvement en 1994, il met fin au génocide des Tutsi et devient l’un des principaux architectes de la reconstruction du pays.

Kagame devient président du Rwanda en 2000, après avoir été vice-président et ministre de la Défense dans le gouvernement de transition. Le Rwanda connaît sous sa présidence une réduction significative de la pauvreté, mais aussi une répression politique jugée sévère par les observateurs internationaux et des violations des droits de l’homme.

Il est réélu à plusieurs reprises, en 2003, 2010 et 2017, dans des conditions souvent critiquées par la communauté internationale en raison des interrogations sur la démocratie et la liberté d’expression. En avril 2023, il a été réélu à la tête du Front patriotique rwandais et est candidat à sa propre succession pour les élections présidentielles d’août 2024.

Qu’est-ce qu’un génocide ?

Le génocide est défini juridiquement par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 comme des actes « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » (article II). Ces actes incluent le meurtre, les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, les conditions de vie imposées pour détruire le groupe, ou encore les mesures visant à empêcher les naissances.

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, dans l’affaire Akayesu de 1998, a précisé cette définition, en insistant sur l’intention spécifique (dolus specialis) de détruire un groupe en tant que tel, élément clé qui distingue le génocide des autres crimes internationaux. Le TPIR a reconnu que le massacre de plus de 800 000 Tutsi au Rwanda en 1994 constituait un génocide, en raison de la planification et de l’exécution systématiques de ces crimes visant spécifiquement les Tutsi en tant que groupe ethnique. La propagande haineuse, les listes de victimes et l’implication des autorités ont confirmé l’intention génocidaire.

Quelques questions à Colette Braeckman et Thierry Piel

Les massacres étaient-ils panifiés ?

euradio · Les massacres étaient-ils planifiés ?

Quelques jours après le début des massacres, à quoi ressemble le Rwanda ?

euradio · Quelques jours après le début des massacres, à quoi ressemble le Rwanda ?

Des scènes d’horreur : les églises transformées en lieux de massacre

euradio · Des scènes d’horreur : les églises transformées en lieux de massacre.

Presque un million de morts en seulement 100 jours : comment expliquer l’impensable ?

euradio · Un million de morts en seulement 100 jours : comment expliquer l’impensable ?

Comment de tels massacres ont-ils pu se dérouler aussi rapidement ?

euradio · Comment de tels massacres ont-ils pu se dérouler aussi rapidement ?

Image : Originally posted to Flickr by Adam Jones, Ph.D. – Global Photo Archive at https://flickr.com/photos/41000732@N04/7734128968. It was reviewed on 12 April 2021 by FlickreviewR 2 and was confirmed to be licensed under the terms of the cc-by-2.0.

Le
rôle
de
la
communauté
internationale
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Le
rôle
de
la
communauté
internationale

La réponse de la communauté internationale au génocide des Tutsi au Rwanda de 1994 est largement critiquée pour son insuffisance et sa lenteur. Bien que les signes avant-coureurs du génocide aient été signalés, aucune action n’a été prise pour prévenir ou stopper les massacres.

Archives Sonuma « Rwanda : les excuses de la Belgique » – 7 avril 2000

La Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (la MINUAR), déployée en 1993, est présente sur le terrain, mais elle est sous-équipée, limitée par un mandat restreint et empêchée d’agir de manière proactive. Le général Roméo Dallaire, commandant de la MINUAR, alerte les Nations Unies dès janvier 1994 sur les préparatifs d’un génocide, en pointant par exemple du doigt l’entraînement de milices et l’accumulation d’armes. Ces avertissements sont pour autant ignorés. Après le début des massacres, le Conseil de sécurité retire la majorité des troupes de la MINUAR, réduisant les effectifs à seulement 270 hommes, au lieu des 2 500 initialement déployés. Le retrait des forces belges, après l’assassinat de dix de leurs casques bleus, affaiblit encore davantage la mission.

La France, pour sa part, joue un rôle controversé. L’opération Turquoise, autorisée par la résolution 929 du Conseil de sécurité de l’ONU en juin 1994, est présentée comme une mission humanitaire. Pourtant, elle est très fortement critiquée pour son ambiguïté : dans certaines zones contrôlées par les forces françaises, des génocidaires parviennent à se replier en toute impunité vers les pays voisins. Si elle permet de sauver certaines vies, elle est aussi accusée d’avoir indirectement favorisé la fuite de nombreux responsables du génocide vers le Zaïre (actuelle RDC), contribuant ainsi à prolonger l’instabilité régionale. Un rapport de la commission Duclert publié en 2021 reconnaît que la France porte une « responsabilité accablante » dans le génocide, notamment dans le soutien politique et militaire apporté au  régime de Habyarimana jusqu’à son effondrement. Le rapport écarte néanmoins le terme de « complicité de génocide », n’ayant pas trouvé de preuves d’une volonté délibérée de s’associer à l’entreprise génocidaire.

Un rapport du secrétaire général des Nations Unies souligne l’incapacité de la communauté internationale à prendre des mesures décisives face à la crise humanitaire au Rwanda. On retrouve notamment ces mots, lourds de sens : “Nous, membres de la communauté internationale, n’avons ni empêché ni arrêté les massacres lorsqu’ils ont commencé. Le fait que nous n’ayons pu le faire est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui. Nous avions la responsabilité d’agir et nous ne l’avons pas fait.”

Quelques questions à Colette Braeckman et Thierry Piel

Pourquoi la France soutenait-elle les Hutu ?

euradio · Pourquoi la France soutenait-elle les Hutus ?

Quelle est la responsabilité de la France dans ce contexte ?

euradio · Quelle est la responsabilité de la France dans ce contexte ?
Roméo Dallaire a commandé la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) en 1993-1994, où il a été témoin du génocide perpétré à l’encontre des Tutsi. Malgré ses avertissements répétés au Conseil de sécurité de l’ONU concernant la préparation d’un génocide, ses demandes de renforts et d’autorisation d’intervenir ont été rejetées. Source : Wikimedia Commons.

Image : Un soldat français de l’ONU installe des barbelés sous le regard d’enfants rwandais. Opération Turquoise.
Par SSGT Andy Dunaway.
Licence : Public domain.

Et
les
survivants
?
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Et
les
survivants
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Archives Sonuma « Rwanda, les survivants » – 18 septembre 1994

Image : 10 février 1995, ©gil.serpereau

Chapitre 4

Après le génocide Justice et reconstruction

Les
camps
après
le
génocide
:
du
massacre
à
la
crise
humanitaire
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Les
camps
après
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du
massacre
à
la
crise
humanitaire

Archives Sonuma « Goma : la peur du retour pour les réfugiés rwandais » – 26 juillet 1994

La crise humanitaire dans les camps de réfugiés

Après la fin du génocide en juillet 1994, environ deux millions de Rwandais, en grande majorité des Hutu, fuient vers les pays voisins. Cet exode massif crée d’immenses camps de réfugiés, principalement en République Démocratique du Congo (alors Zaïre), mais aussi en Tanzanie et au Burundi. Fin février 1996, on compte environ un million de réfugiés au Zaïre, 550 000 en Tanzanie et 95 000 au Burundi.

Ces camps font rapidement face à une surpopulation extrême et des conditions sanitaires déplorables, avec un manque criant de nourriture, d’eau potable et de soins médicaux. Au Nord-Kivu, par exemple, près de 50 000 décès sont enregistrés durant le premier mois suivant l’arrivée des réfugiés, principalement dus à des épidémies de choléra et de dysenterie.

Parmi les réfugiés se trouvent aussi des responsables du génocide, comme Jean-Baptiste Gatete et Sylvestre Gacumbitsi dans le camp de Benaco en Tanzanie. Ils continuent d’exercer leur influence au sein des camps et de menacer les survivants. Ces camps deviennent des foyers d’insécurité dans la région des Grands Lacs, contribuant à de nouvelles crises humanitaires et à des conflits prolongés, notamment au Burundi.

Image : RTNB (Burundi National Radio and Television)

Comment
rendre
justice
?
Du
TPIR
aux
Gacaca
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Comment
rendre
justice
?
Du
TPIR
aux
Gacaca

Comment juger autant de monde ? Peut-on juger la folie collective ?

Le Rwanda fait face à un défi monumental en matière de justice, pour juger non seulement les principaux responsables du génocide mais aussi les centaines de milliers de personnes impliquées dans les violences. Face à l’ampleur des crimes, deux systèmes judiciaires sont mis en place : le Tribunal Pénal International pour le Rwanda et les tribunaux Gacaca.

Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda 

Créé par les Nations Unies en novembre 1994 et basé à Arusha, en Tanzanie, le TPIR a pour mission de juger les principaux responsables du génocide. C’est l’un des premiers tribunaux internationaux à traiter des crimes de génocide, établissant un précédent pour la justice pénale internationale.  

Le TPIR se concentre sur les hauts responsables politiques, militaires et médiatiques ayant planifié ou orchestré les massacres. Parmi les 93 personnes jugées, plusieurs figures de premier plan sont condamnées, notamment des ministres et des dirigeants des milices Interahamwe. Le tribunal joue également un rôle clé en établissant le viol comme crime de génocide et en condamnant les instigateurs de la propagande haineuse, comme Ferdinand Nahimana, fondateur de la Radio Mille Collines.  

Le TPIR est néanmoins critiqué pour sa lenteur et ses coûts élevés, et il ne peut traiter qu’une fraction des crimes commis. Ses procès se terminent en 2015, marquant la fin d’une étape importante dans la lutte contre l’impunité à l’échelle internationale.

Archives Sonuma « Les gacaca : justice et réconciliation » – 18 juin 2002

Les tribunaux Gacaca  

Le TPIR ne peut évidemment pas juger tous les responsables du génocide, étant donné le nombre colossal de personnes impliquées. Il est donc décidé de recourir à un système de justice plus adapté aux spécificités du Rwanda, en réintroduisant les tribunaux Gacaca, un ancien système de justice communautaire rwandais.  

Les Gacaca – 1 958 634 cas à traiter

Le mot « Gacaca » prononcé gachacha signifie « herbe » en kinyarwanda, en référence aux assemblées locales où les membres de la communauté se rassemblaient pour discuter et résoudre des conflits. Après le génocide, ce système est modernisé et réadapté pour faire face à l’ampleur des crimes commis et juger les centaines de milliers de suspects impliqués.

Plus de 12 000 tribunaux Gacaca sont établis à travers le pays, chaque tribunal étant composé de citoyens locaux élus en fonction de leur intégrité et de leur réputation dans la communauté. Ces tribunaux ont pour but de juger un grand nombre de cas en peu de temps tout en offrant un processus judiciaire qui reste proche des traditions communautaires. En impliquant directement la population dans le processus judiciaire, les Gacaca renforcent la légitimité et l’adhésion des citoyens aux décisions prises. Les Gacaca ont aussi pour mission d’encourager la réconciliation nationale, non seulement en rendant justice, mais aussi en révélant la vérité sur les événements du génocide. Elles facilitent des processus de confession publique et de demande de pardon, afin d’aider les victimes et les coupables à se confronter à la réalité du génocide et à se réconcilier. Entre 2002 et 2012, les tribunaux Gacaca traitent environ 2 millions de cas, incluant des meurtres, des viols et des actes de torture.

Archives Sonuma « Prison de Gitarama au Rwanda, 5 ans après le génocide » – 08 avril 1999

Une question à Thierry Piel

Quel règlement juridique pour le génocide ?

euradio · Quel règlement juridique pour le génocide ?
Procès Gacaca – ©Elisa Finocchiaro

Gacaca courts in Rwamagana district, female public – ©Elisa Finocchiaro

Ibuka,
« souviens-toi »
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Ibuka,
« souviens-toi »

Pour éviter que le génocide ne tombe dans l’oubli, le Rwanda a mis en place des commémorations annuelles et des programmes éducatifs pour les nouvelles générations. Le Mémorial du Génocide de Kigali, ouvert en 2004, est devenu un lieu central pour honorer les 250 000 victimes enterrées sur place et pour éduquer le public sur les causes et les conséquences du génocide. En 2023, ce mémorial et d’autres sites comme ceux de Nyamata, Murambi et Bisesero ont été classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Et pour aller plus loin …

Comment peut-on survivre à une telle tragédie ?

euradio · Comment peut-on survivre à une telle tragédie ?

Photo : Paul Kagame, Président du Rwanda lors des cérémonies de commémoration. This work is licensed under the Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0License.

Geopolis / Euradio 2025 - Direction Citoyenneté, Mémoire et Démocratie - CiMéDé

Témoignages

Vidéos

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le dossier Sonuma sur les 30 ans du génocide à retrouver ici :

Ressources

Programme de communication sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 et l’ONU : https://www.un.org/fr/preventgenocide/rwanda/historical-background.shtml

Le site du Kigali Genocide Memorial : https://kgm.rw/

L’épisode des Niouzz sur le génocide des Tutsi : https://www.youtube.com/watch?v=NXesVA0A_Gg&t=371s

  • Les romans de Gaël Faye (Petit Pays et Jacaranda)
  • Les romans de Scholastique Mukasonga (également lauréate du Prix Renaudot) – notamment Inyenzi ou les cafards
  • Murambi de Boubacar Boris-Diop
  • Ainsi pleurent nos hommes de Dominique Célis
  • Rwanda : Milles collines, Milles Douleurs de Colette Braeckman
  • Des témoignages directs de rescapés : Yolande Mukagasana, Annick Kayitesi, Beata Umubyeyi Mairesse, etc.

Filmographie, à retrouver sur le site IBUKA-Mémoire et Justice

  • Shooting Dogs : De Michael Caton-Jones. Royaume-Uni, 115’, 2006.
  • Tuez-les tous : De David Hazan, Raphaël Glucksmann, Pierre Mezerette. France, 2004.
  • Rwanda. A travers nous, l’humanité …: De Marie-France Collard. Belgique/Rwanda, 105’ et 155’, 2006.
  • Rwanda 94 : De Marie-France Collard et Patrick Czaplinski. Belgique, 340’, 2005.
  • Bruxelles-Kigali : De Marie-France Collard. Belgique/France, 118’, 2011.
  • Hundred Days : De Nick Hughes. Royaume- Uni / Rwanda, 99’, 2001.
  • Sometimes in April : De Raoul Peck. USA, 140’, 2005.
  • Rwanda. Les collines parlent : De Bernard Bellefroid. Belgique, 2005.
  • Mon voisin, mon tueur : D’Anne Aghion. USA/France, 2009.
  • Des cendres dans la tête : De Patrick SEVERIN. Belgique, 65’, 2010.
  • Le jour où dieu est parti en voyage: De Philippe Van Leeuw, 94’, 2009.
  • « Rwanda: Le Silence des Mots » réalisé par Gael Faye, accessible sur le site d’Arte.

Articles et ressources :

Rapport Duclert sur le génocide des Tutsi : un pas de plus à retrouver ici : https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/02/rapport-duclert-sur-le-rwanda-un-pas-de-plus/

Chronologie

Période coloniale

1884-1916 : Le Rwanda devient d’abord une colonie allemande, puis belge après la Première Guerre mondiale. Les colonisateurs renforcent la division entre Hutus et Tutsis en instaurant des cartes d’identité ethniques et en favorisant les Tutsis dans l’administration.

1959 : Une révolution sociale éclate, marquant le début des premières violences systématiques contre les Tutsis. Des milliers de Tutsis s’exilent dans les pays voisins, créant une importante diaspora.

1962 : Le Rwanda obtient son indépendance. Grégoire Kayibanda, un Hutu, devient le premier président. Son régime institutionnalise la discrimination contre les Tutsis.

1973 : Coup d’État de Juvénal Habyarimana, qui instaure un régime à parti unique dominé par les Hutus du nord du pays.

1990 : Le Front Patriotique Rwandais (FPR), composé principalement de Tutsis exilés, lance une offensive depuis l’Ouganda contre le régime d’Habyarimana.

Montée des tensions et génocide

1993 : Signature des accords d’Arusha entre le gouvernement rwandais et le FPR, prévoyant un partage du pouvoir. Ces accords sont mal accueillis par les extrémistes hutus.

6 avril 1994 : L’avion du président Habyarimana est abattu près de Kigali. Cet événement déclenche le début du génocide.

7 avril – juillet 1994 : Période du génocide

  • Les milices Interahamwe et l’armée rwandaise commencent les massacres systématiques des Tutsis et des Hutus modérés
  • La radio RTLM diffuse des appels au meurtre
  • Entre 800 000 et 1 million de personnes sont assassinées en environ 100 jours
  • Le FPR lance une offensive militaire pour arrêter le génocide

Période post-génocide

Juillet 1994 : Le FPR prend le contrôle du pays, mettant fin au génocide. Des millions de Hutus fuient vers le Zaïre (aujourd’hui RDC) par peur des représailles.

1994-1996 : Mise en place d’un gouvernement d’union nationale dirigé par Pasteur Bizimungu, avec Paul Kagame comme vice-président.

2000 : Paul Kagame devient président du Rwanda, poste qu’il occupe encore aujourd’hui.

2003 : Adoption d’une nouvelle constitution interdisant les partis basés sur l’ethnie et supprimant les mentions ethniques des cartes d’identité.

1994-présent : Mise en place des tribunaux Gacaca pour juger les responsables du génocide au niveau local, parallèlement au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) qui juge les principaux responsables.

Partenaires

Avec le soutien de la Direction Citoyenneté, Mémoire et Démocratie – CiMéDé de la Fédération Wallonie Bruxelles

Crédits

Textes et réalisation : Laura Léger

Merci à Colette Braeckman, Thierry Piel