Merci à La Libre et à Jean-Marc Bodson pour l’article sur l’exposition présentée actuellement à Géopolis : Venezuela / The Wells Run Dry de Fabiola Ferrero

À Géopolis, un état des lieux visuel du Venezuela réalisé par Fabiola Ferrero grâce au Prix Carmignac du Photojournalisme qui lui a été décerné en 2022.

Jean-Marc Bodson

En exergue de son excellent documentaire photographique sur la crise profonde de son pays présenté en ce moment à Géopolis, la Vénézuélienne Fabiola Ferrero écrit “s’il y a un moment pour documenter et laisser une trace de la mémoire de ce que nous étions, c’est maintenant”.

Ce que les Vénézuéliens étaient avant, elle le laisse percevoir dès l’entrée de l’exposition à travers une série de souvenirs familiaux qu’elle a glanés ici et là et qui sont antérieurs à la vertigineuse descente aux enfers de son pays. On y voit surtout des gens insouciants dans des activités “normales” d’une démocratie riche.

C’est précisément à cette “mémoire du temps d’avant l’effondrement” que la jeune femme a voulu se confronter en réalisant en 2022, grâce au Prix Carmignac du Photojournalisme qu’elle venait d’obtenir, un état des lieux visuel de son pays. Deux ans à peine après l’avoir quitté* et grâce à la confortable bourse qui lui avait été attribuée, elle l’a donc sillonné durant 6 mois pour photographier les ruines – au propre comme au figuré – de ce que le Venezuela était encore il y a douze ans, juste avant la mort d’Hugo Chavez. Les ruines d’un pays dont la majorité de la population était alors en âge de travailler et qui vendait à plus de 100 $ le baril le pétrole dont il détient les plus grandes réserves au monde.

Comme la photographe le fait remarquer, cette dévastation est comparable à celle de pays exposés à des conflits armés : après sept années consécutives d’effondrement économique et de crise politique, 94 % des Vénézuéliens vivent en effet dorénavant sous le seuil de pauvreté. Au début de l’exposition, un tableau résume d’ailleurs en quelques chiffres l’étendue du désastre : l’inflation de 2021 à 2700 %, une production de pétrole annuelle divisé par 10 en 10 ans, et dans la même période, un revenu familial moyen baissant de 77 %.

Formée en écriture et en journalisme d’investigation, maintes fois distinguée par des prix prestigieux (notamment le prix Inge Morath, le prix du photojournalisme 6Mois et la bourse éditoriale Getty Images), Fabiola Ferrero nous montre tout cela sans misérabilisme, sans recours à la symbolique convenue de la souffrance, en couleur même. Les images sont simples et directes, très lisibles. Ici une route crevassée, tout à côté une salle de classe vide où vole une chauve-souris ou encore un laboratoire scientifique en déshérence. Les infrastructures industrielles ont particulièrement retenu son attention – ports, puits de pétroles… – mais aussi le secteur de l’enseignement, particulièrement l’université, qui souffre durement du manque de financement de l’État.

L’illusion que nous avons bâtie sur le pétrole s’est évaporée si rapidement que j’ai l’impression de photographier un lac juste avant qu’il ne devienne un désert.

Fabiola Ferrero

Dans son excellente préface à la monographie The Wells Run Dry coéditée par la Fondation Carmignac, l’écrivaine et journaliste vénézuélienne Milagros Socorro cite le cas de ces “professeurs d’université reconvertis en chauffeurs de taxi seniors, jusqu’à ce que l’impossibilité de réparer leurs voitures ou de les équiper de pneus les laisse à nouveau oisifs et abandonnés ”. Ceci avant de noter : “ Les sociétés d’études de marché qui mènent des enquêtes dans le pays se sont heurtées à une certitude : les Vénézuéliens veulent la normalité. Former un couple, fonder une famille et lui assurer logement et sécurité, scolariser ses enfants et les emmener à la plage le samedi ”. En quelque sorte, ils souhaitent rembobiner le temps, revenir à l’insouciance des photos souvenirs d’avant la crise. Cependant, à voir les photographies de Fabiola Ferrero, ils ne peuvent rien espérer de tel avant deux ou trois décennies. Les portraits sur box lumineux disséminés dans les deux coursives de Géopolis nous feraient penser qu’ils en sont conscients et nous feraient même douter qu’ils rêvent encore. Les visages sont graves, les regards sont durs.

* Comme plus ou moins 7 millions de ses compatriotes l’ont fait ces 10 dernières années.

“Venezuela, The Wells Run Dry” de Fabiola Ferrero Quoi Photojournalisme Où Géopolis, rue des Tanneurs, 58, 1000 Bruxelles Quand Jusqu’au 22 décembre, du mardi au dimanche, de 13h à 17h30.

Rens. :Cet article est paru dans La Libre (site web)

Illustration(s) : The third floor of the General Library of UDO, Universidad de Oriente, Sucre, Venezuela, on March 2022. Years of investigation have been lost in the destruction and fire of the university. ©Fabiola Ferrero Fishermen work next to a sunken ship in the coasts of Sucre, Northeast of Venezuela, on November 11, 2021. ©Fabiola Ferrero