Tetyana Ogarkova vous êtes journaliste à Kiev, responsable du département international à l’Ukraine Crisis Media Center. Nous vous avions rencontré la semaine dernière à Kiev quand une opération militaire russe d’une telle envergure paraissait encore largement inconcevable.

Kiev était encore assez animée et presque normale quand nous avons quitté la capitale ukrainienne dimanche dernier, personne ne croyait à une invasion. Peut-on dire que vous êtes rentrés dans un autre monde ? Le calme dont semblaient faire preuve les kieviens lors du premier jour de guerre a-t-il laissé place à la panique ?

Oui effectivement, c’est vrai, nous sommes entrés dans un cauchemar avec l’impression de vivre désormais sur une autre planète. Qui aurait imaginé que notre vie pouvait changer d’une manière aussi radicale, que Kiev, la capitale de l’Ukraine, ville de presque 3 millions d’habitants puisse être touchée, ainsi que ses habitants, les civils, les familles, les enfants, … 

Les écoles sont fermées, il y a un couvre-feu très tôt …

Qu’il y ait des missiles, que les Russes soient à Tchernobyl, comment imaginer tout ça. Nous sommes face à une immense épreuve, je crois que le niveau de stress des Ukrainiens est au maximum. Personne n’était prêt à une guerre qui s’étendrait sur tout le territoire. Quelque chose dans l’Est oui, mais pas de cette ampleur. On avait aussi l’espoir que cela resterait du domaine du bluff.

Qu’au 21e siècle, une capitale européenne comme Kiev, une ville comme Paris ou Berlin, ouverte, tranquille, sécurisée puisse se transformer en un paysage si désolé… c’est malheureusement stupéfiant.

Comment vit-on maintenant à Kiev ?

Il y a une pénurie des produits de première nécessité. Les distributeurs automatiques de billets sont toujours là mais il est devenu presque impossible de retirer la moindre hryvnia. Heureusement que les magasins acceptent les cartes.

Il y a aussi une pénurie d’essence et les destructions qui compliquent l’évacuation des familles de Kiev et des grandes villes. Je n’ai jamais vu de ma vie que les gens faisaient autant de files. 

Cependant on s’habitue à tout, même à la guerre. On reprend du courage en écoutant les bonnes nouvelles de nos militaires. Malgré les pertes, les bombardements, les militaires ont confirmé la reprise de certaines villes.

Ce qui est très important pour nous aussi c’est la solidarité européenne. La prochaine étape importante serait la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne qui empêcherait les russes de bombarder certaines zones. C’est très important, ça nous ferait gagner du temps, c’est très efficace et l’Otan en a les moyens.

Ce soutien de l’Europe justement, il semble à la hauteur ?

Oui, nous sommes très reconnaissants pour toutes les sanctions déjà imposées. 

N’oublions pas que la Russie a déclenché cette guerre absolument sans raisons, sans justifications. Poutine est dans sa folie, dans ses fantasmes et c’est le moment de s’unir et d’être solidaire avec l’Ukraine. Ce qu’il se passe ici concerne toute l’Europe, ils ne vont pas s’arrêter … on est sortis du rationnel, du pragmatisme. 

Que l’Ukraine reçoive tous les soutiens possibles des alliés, des pays partenaires de l’Otan, que l’article 5 ne puisse pas être activé du fait que l’Ukraine n’est pas membre de l’UE n’empêche pas que l’on demande la fermeture du ciel par les Occidentaux. Cela n’empêche pas non plus la livraison d’armes.

Est-ce qu’internet est toujours accessible ?

Écoutez, ça dépend du département. On a des coupures mais globalement internet marche. 

Par contre on a reçu des messages à Kiev qui nous avertissait que durant les deux jours à venir il n’y aurait plus d’eau courante, ce qui a contribué au départ de pas mal de monde; 

On a également entendu parler de groupes de sabotages, des miliciens de la sinistre organisation Wagner, présente à Kiev. Avez-vous eu des informations à ce sujet ?

Ah oui, il est absolument vrai qu’en Pologne des groupes de sabotages ont été constatés. J’ai des amis qui les ont vu de leurs propres yeux, tirer, etc. Et d’après l’information qu’on a, il y avait même des corps de saboteurs russes appréhendés à Kiev. Imaginez-vous … c’est sinistre en fait. 

Le président Zelensky a distribué des armes et appelé à la mobilisation générale. Comment les milices populaires s’organisent-elles ?

Oui, il y a les distributions d’armes, il y a la formation de la défense territoriale qui est renforcée, et tout cela se fait de manière très active. 

Il n’ont pas d’artillerie lourde, de systèmes antichars, ce sont seulement des armes légères mais elles restent très efficaces même contre les chars donc voilà, ça peut aider.

Et pour conclure, Madame Ogarkova vous avez fait référence à la folie qui semble s’être emparée du Kremlin.

Oui, pour nous c’est une pure folie cette guerre de Poutine. Ce ne sont pas des méthodes pour un monde civilisé, admettez … 

Il nie l’idée que l’Ukraine est souveraine, qu’elle puisse être démocratique.

Car contrairement à la Russie, en Ukraine on a le droit d’élire un président tous les 5 ans alors qu’en Russie en revanche, Poutine est au pouvoir depuis des décennies. Espérons qu’il ne va pas arriver à ses fins.

Intervenante : Tetyana Ogarkova est journaliste à Kiev, et responsable du département international à l’Ukraine Crisis Media Center.

Interview réalisée le 25 février par Ulrich Huygevelde et Thomas Kox